Elaha est à voir à tout prix, pour sa réalisation splendide. Une mise en scène qui déploie à l’image les blessures ardentes de son héroïne en pleine lutte, cruellement mais tout doucement.
Dès ses premières images, Elaha se montre comme un film façon drame social qui impose un sentiment de proximité. Il invite à se placer à côté de son héroïne, à marcher avec elle. Mais ses plans ne sont pas dédiés à traduire une réalité grise : ils semblent épouser totalement les sentiments qui animent la protagoniste centrale. Et partant, ses blessures. Elaha souffre, à vingt-deux ans. D’origine kurde, elle vit dans l’Allemagne actuelle au sein d’une famille qui l’étouffe, et lui commande de se tenir tout le temps à carreau. De peur qu’on la regarde mal, et que ce faisant, son père ou sa mère soient comme déshonorés.
Ici, le fil rouge de la trame reste la tentative, pour Elaha, de se marier avec un jeune homme kurde lui aussi, juste pour se sentir un peu plus libre. Ainsi que ses hésitations, et sa quête d’un nouvel hymen. Etouffée par les traditions auxquelles elle est soumise, elle redoute en effet de devoir montrer qu’elle n’est plus vierge, au moment de son union. Un sentiment que tout son entourage accentue, sauf les amies qu’elle a dans sa communauté. Mais tous ces tourments sont figurés au fil de séquences amples : pour son premier long-métrage, la réalisatrice Milena Aboyan se montre experte à tisser de longues scènes où l’épanouissement prend des allures de mission.
En prime, la caméra prend son temps. Elle paraît se tenir prête à scruter les soubresauts qui enserrent Elaha, au sein de cet univers cruel. Son objectif cadre sans ciller les environnements enveloppés dans la magnifique photographie signée par Christopher Behrmann, qui fait ressortir le bleu nimbé de douleur des lieux de l’action. Ou le gris feutré des rues de cette Allemagne d’aujourd’hui, dure à investir pour la jeune héroïne. Sur ces compositions s’invite la musique de Kilian Oser, brillante et un peu enveloppante sans jamais être insistante. Ce dosage très subtil d’ingrédients aboutit à une forte sensation de naturel, qui porte aussi la rage rentrée de la protagoniste centrale, si proche, si prête à jaillir.
Signant un film féministe plongeant dans un contexte alarmant, qui révolte, la cinéaste laisse d’autre part tout l’espace nécessaire à sa jeune protagoniste pour exprimer qui elle est. Son film s’autorise ainsi des instants suspendus, dans lesquels les sensations d’Elaha paraissent primer. Son interprète Bayan Layla impressionne grandement, par le souffle ardent dont elle est animée. Aidée par une réalisation toute à l’écoute, elle reste d’une vérité splendide. Le long-métrage l’autorise même à ne pas tout livrer sur son personnage, à lui laisser une part impénétrable. Si elle captive lorsqu’elle se démène pour échapper à ce dans quoi on l’enferme, elle fascine aussi lorsqu’elle se donne un peu de temps pour suivre ses sensations, au gré du vent.
Immanquable, Elaha laisse totalement ébloui par ses qualités. On se prend à souhaiter un beau destin à sa signataire, tout autant qu’à l’héroïne qu’elle met en scène, forcée de se défendre. On souhaite qu’une foule d’autres viennent marcher aux côtés de cette jeune femme, au coeur de ses maux, de ses sensations et de ses combats.
Elaha est à voir dans les salles de cinéma françaises à partir du mercredi 7 février, distribué par Wayna Pitch.
Visuel (c) Wayna Pitch