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El Pampero Ciné invité par les Regards Satellites : un cinéma en mouvement, essentiel

par Geoffrey Nabavian
05.03.2024

Les membres d’El Pampero Ciné sont mis à l’honneur cette année par le festival de cinéma qui se tient à Saint-Denis jusqu’au 12 mars. Bon choix : ceux qui sont derrière les films-sommes La Flor ou Trenque Lauquen restent des artistes passionnants, à rencontrer. Pour réfléchir un peu sur les temps actuels du cinéma, et voyager.

« Je crois que les vrais sujets d’El Pampero Ciné et de ses fictions sont la fiction elle-même, ainsi que la transformation, qui peut la toucher elle notamment » : lors de la rencontre avec le public qui se tient en ce 4 mars au sein de l’Écran, le cinéma Art et Essai de Saint-Denis, Alejo Moguillansky synthétise ainsi une partie du passionnant travail qu’il s’échine à faire exister, avec ses collègues, au sein du groupe créateur de films invité au sein des Regards Satellites en cette année 2024. Un ensemble de talents argentin qui a donné, notamment, La Flor ou Trenque Lauquen, films hors-format sortis dans les salles de cinéma françaises respectivement en 2019 et 2023. Et affichant des durées totales de 12h41 d’une part, et 4h14 d’autre part.

Se donner tous les jours aux images filmées

Dans l’enceinte de l’écran, Moguillansky part donc, d’emblée, sur Charles Chaplin. Il affirme que l’ensemble de concepteurs de films que constitue El Pampero Ciné a des rendez-vous pour répéter tous les jours, longuement, jusqu’à ce que quelque chose d’humainement intéressant surgisse. « Chaplin, lui, arrivait sur le tournage sans idées, et il répétait, répétait, répétait », précise-t-il.
Mariano Llinas, le réalisateur de La Flor, poursuit, sur la même idée et armé lui aussi de la figure du grand cinéaste du muet : il explique que lui « fait » son film au sein de la salle de montage. Il s’y « rend tous les jours », et y dialogue avec le monteur en chef présent sur son projet en cours, qui est aussi celui qui s’occupe de la caméra. « Comme Chaplin, nous faisons tout en même temps », affirme-t-il. « Tout en faisant de la salle de montage un lieu où ne doit surtout pas régner le contrôle », ajoute-t-il.  « Que faites-vous quand vous n’enregistrez pas des images filmées ou ne travaillez pas sur elles ? » demande une personne dans le public. « Ce moment-là n’existe pas » répond Mariano Llinas. Avant d’ajouter : « Mais chacun d’entre nous gagne sa vie avec autre chose, les films que nous créons ne payent pas ».

Accepter de glisser vers ce qu’on imaginait pas

Laura Citarella, la réalisatrice de Trenque Lauquen, poursuit à son tour en précisant qu’un film d’El Pampero Ciné est quasiment tout le temps la rencontre de deux éléments, le cinéma et la poésie. À ce titre donc, la matière filmique reste ici très mouvante : ainsi dans son long-métrage à elle, l’interprète du personnage d’Ezequiel, un non-professionnel, a « décalé » au cours du tournage le jeu des actrices et acteurs professionnels présents à ses côtés, selon elle.
Un peu plus tard, Laura Citarella se questionnera face au public : « je me demande, où est-ce qu’on « trouve » les films, au fond ? » L’organisation d’El Pampero Ciné permet de se livrer, quant à cette interrogation, à de nombreuses tentatives, certaines paraissant après des années « ridicules », poursuit-elle. Puis Agustin Mendilaharzu, autre membre, revient lui sur des questions qu’on lui pose lors des festivals, touchant notamment l’écriture des scénarios signés par El Pampero Ciné. Certains se demandent s’ils sont complètement rédigés d’emblée. En réalité, ils sont tissés à partir d’accidents, en grande partie.

Laisser liberté et maîtrise s’allier

A ce stade, on repense aux remarquables La Flor et Trenque Lauquen. Le premier présente six récits – dont un sublime « film d’espionnage d’auteur » de 5h10 – de six genres distincts, qui ont en commun leur quatre actrices principales. Trenque Lauquen déroule, lui, une seule intrigue, tournant autour d’une femme disparue, mais avec une foule de ruptures narratives et des changements d’atmosphère. Il s’affirme par ailleurs aussi comme un long-métrage sur et pour une ville, la Trenque Lauquen du titre. Les travaux d’El Pampero Ciné ayant également cette caractéristique phare.
Au final, on juge aisément que ces deux films très remarqués à leur sortie en salles en France témoignent que les objectifs sont bien atteints, pour les artistes à leur tête : ces œuvres apparaissent libres, particulièrement irriguées par de la vie, et à la fois porteuses d’un style très maîtrisé et d’une ouverture à la fois à l’imprévu, et à l’imagination des spectateurs. A ce titre Laura Citarella ajoute qu’elle et ses collègues s’échinent à enregistrer des images filmées tout le temps, pour échapper au « sentiment de mort » amené par le fait de trop « parler » les films, de les concevoir très à l’avance en parlant beaucoup d’eux avant même qu’ils existent, pratique très anti fertile selon elle.

Oublier ce qu’on croit savoir

Après un extrait de Por el dinero, d’Alejo Moguillansky, les interprètes Laura Paredes et Luciana Acuna, également présentes, évoquent le milieu au sein duquel elles se sont rencontrées : la danse et le théâtre « indépendants » de Buenos Aires. Dans la séquence projetée, un personnage évoque en voix-off ce monde : ceux qui conçoivent les spectacles qui le composent enchaînent toutes les fonctions lors de la fabrication et de la représentation des oeuvres, performant ensuite devant des salles pleines, et se payant au final avec peu. Laura Paredes explique que cette atmosphère reste vectrice d’un travail intense, au sein duquel le plaisir demeure très présent, aussi. C’est un tel climat qui est d’une certaine manière reproduit, en El Pampero Ciné.
Luciana Acuna ajoute, elle, que de la vraie amitié sous-tend le travail de ces créateurs de cinéma, et qu’elle reste un moteur important. C’est elle qui motive ces artistes, de toutes fonctions, pour se lancer ensemble dans la conception de films sur de très longues périodes, sur dix années parfois. En prime, elle les amène à chercher à « écouter », beaucoup. Ce faisant, « de nouvelles manières de jouer la comédie peuvent être découvertes ». Laura Parades avance ainsi que, La Flor ayant pris dix années à se faire en totalité, ses actrices, venues du théâtre indépendant surtout, ont pu l’envisager comme une « école de jeu devant la caméra » : elles se voient s’améliorer d’une séquence à l’autre, lorsqu’elles visionnent le film. Il n’en reste pas moins par ailleurs que, selon les mots d’Agustin Mendilaharzu, dans un film d’El Pampero Ciné, une ou un interprète central « est » rarement tout du long le personnage, à l’image.

Jouer dehors

Enfin, Claire Allouche, journaliste qui anime la rencontre, se concentre sur un motif central, pour El Pampero Ciné : le fait de vouloir « sortir dehors, à l’aventure ». Pour illustrer cette idée vectrice de chance, d’imprévu, un extrait du film Clementina est montré : y apparaît quelques secondes une effigie d’une figure païenne aimée par beaucoup de gens en Argentine, « souvent située au bord des routes », au sein du pays, selon les dires d’Agustin Mendilaharzu, signataire du long où figure le plan.
Il précise : « nous sommes autant amoureux du montage que du tournage en lui-même, car nous adorons la réalité ». Même si « nous sommes forcés d’être dans un combat violent avec l’imprévu, pour lequel nous avons besoin de chance », précise Mariano Llinas. « Là nous avons un ton un peu plaisantin avec vous, mais en réalité c’est très difficile, don’t do that at home », glisse-t-il. Sans oublier de préciser : « comme Chaplin, nous sommes ambitieux ». Des game changers, très assurément. Dix-sept heures de projection assez magistrales peuvent en témoigner.
Les Regards Satellites se tiennent jusqu’au 12 mars au sein de l’Écran, à Saint-Denis. Infos et réservations : REGARDS SATELLITES – 2e edition (lecranstdenis.fr)
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Visuel : © Geoffrey Nabavian