« Disco Afrika : Une histoire malgache » de Luck Razanajaona : Meurtri pays, je t’aime beaucoup
par Camille Griner18.09.2025
Avec Disco Afrika : Une histoire malgache, passé par la Berlinale en 2024, Luck Razanajaona dresse un portrait édifiant et saisissant de son pays natal.
Madagascar, de nos jours. Une voix à la radio, en off, ouvre le film sur fond noir en énumérant les derniers meurtres et émeutes qui ponctuent le quotidien de l’Île Rouge, gangrénée depuis trop longtemps par l’instabilité, les inégalités et la corruption. Pour son premier saut dans la fiction, Luck Razanajaona joint la forme documentaire à un récit fictif pour tisser le portrait sans fioriture de son pays natal. Un pays qui, après des luttes anticoloniales menées dans les années soixante, semble aujourd’hui avoir baissé les bras. Dans une mine clandestine à l’eau opaque, deux personnages sont en quête d’un saphir, pierre précieuse qui peut acter leur salut. Celui de mettre leur famille à l’abri, mais aussi celui d’un nouveau départ en Occident, libéré de leur insularité mentale et physique forcée. L’arrivée d’hommes armés balaie bien vite leurs rêveries et fait déguerpir à toute vitesse les deux amis, menacés d’être sommairement fusillés.
Dans les décors aux allures pittoresques de Disco Afrika : Une histoire malgache, c’est implacablement la mort qui rode à chaque instant. Flirtant avec le cinéma néoréaliste, le réalisateur nous plonge dès les premières séquences du film dans la réalité quotidienne du pays, où les diverses ressources du territoire engraissent les riches, tandis que l’état maintient la majeure partie de la population dans une profonde pauvreté. Par la fixité quasi constante de ses cadres, Luck Razanajaona enserre sa narration et ses personnages au diapason d’un pays dont l’élan révolutionnaire se fige progressivement. Cette prise de conscience politique, économique et sociale face aux multiples crises qui secouent le pays, Luck Razanajaona choisit de la raconter par le biais d’un jeune mineur de dix-huit ans, Kwame. Prénom qui est d’ailleurs un clin d’œil au Ghanéen Kwame Nkrumah, figure indépendantiste et panafricaniste majeure.
Luttes perpétuelles
Traumatisé suite à la mort violente de son ami Rivo, lors d’une séquence nocturne à la simplicité formelle d’une efficacité redoutable, Kwame se sent coupable et repense alors à son enfance fissurée par la disparition de son père lors d’une manifestation. A travers la vitre du bus qui le ramène à Tamatave, sa ville natale et première agglomération portuaire de Madagascar, le jeune homme voit défiler sous ses yeux un pays qui n’a de cesse de se déchirer. Une fois arrivé, manifestations de rue, plombs qui sautent, pression incessante de l’état, mais également trafics de bois rose, font partie intégrante de son quotidien, capturés avec l’œil aiguisé du réalisateur. Luck Razanajaona évite par ailleurs habilement le misérabilisme grâce à des sauts impromptus dans le fantastique, par le biais de l’apparition du fantôme de Rivo, mais aussi des séquences nocturnes éclairées à la bougie qui insufflent une poésie délicate à l’ensemble. Disco Afrika : Une histoire malgache fait également la part belle à la musique, personnage à part entière du récit, offrant énergie et espoir au gré du parcours de Kwame, appâté par l’argent facile avant de reprendre sa vie en main, boosté par « les âmes courageuses qui [ont] donné leur sang » au pays, comme son père.
Ponctuée d’une bande originale qui oscille par moment entre jazz et funk, le film dresse des ponts entre Kwame et son paternel, mais aussi entre les différentes époques. L’intemporalité indélébile de l’esprit de résistance, qui gronde dans le cœur de la majorité du peuple malgache, se révèle alors au grand jour. Avec une trame scénaristique simple, Luck Razanajaona signe pourtant un long métrage profondément engagé et contestataire, porté par une flopée épatante de comédiens non professionnels. Si l’intrigue principale se révèle être la quête de Kwame sur la mort de son père, le film est par ailleurs une ode saisissante à la révolution, l’espoir et la volonté de retour aux valeurs profondes du pays face à l’oppression et l’injustice. Après des courts et longs métrages documentaires passés en festivals, Luck Razanajaona réussit avec finesse son passage à la fiction et livre un projet instructif et captivant sur la nécessité des luttes face aux problématiques de longue date qui asphyxient le peuple malgache.
Disco Afrika : Une histoire malgache de Luck Razanajaona. Avec Parista Sambo, Laurette Ramasinjanahary, Joe Lerova… 01h20. France, Madagascar, Allemagne, Maurice, Afrique du Sud, Qatar. Sortie le 24 septembre 2025.
Visuel : © We Film
