Chez Arnaud Desplechin, comme un motif musical, les mêmes obsessions se retrouvent de film en film. Deux pianos file ouvertement cette métaphore des cœurs désaccordés, sujets aux accidents.
Tout autant que les précédents, ce film est profondément romanesque. Dans une autre vie, « il y a mille ans », Mathias (François Civil), talentueux pianiste, a aimé Claude (Nadia Tereszkiewicz). A l’époque, elle sortait avec Pierre (Jeremy Lewin), le meilleur ami de Mathias, qu’elle a épousé. De retour à Lyon, à l’appel d’Elena, son mentor (Charlotte Rampling), Mathias recroise par hasard Claude et, au sens propre, retombe. On pense à Fanny Ardant qui s’évanouit lorsqu’elle revoit Gérard Depardieu et qu’il l’embrasse dans La femme d’à côté de François Truffaut (1981). Ou à Mathieu Amalric chutant également dans Un conte de Noël (2008) sous le coup d’une émotion vive.
Chez Desplechin, l’amour est une plaie ouverte, qui ne guérit pas. Le premier regard flotte toujours entre les anciens amants, trois souvenirs au moins. Ici, trop d’amour circule entre les personnages, qui ne savent plus comment y répondre : Elena et Mathias s’aiment, de même que Claude et Pierre, que Mathias et Claude, que Pierre et Mathias, que Judith et Claude, que Judith et Mathias, que Mathias et sa mère, que Claude et son petit garçon, qui ressemble tant à Mathias au même âge. François Civil, Nadia Tereszkiewicz et Jeremy Lewin rayonnent de bonté.
Comment partir quand on ne sait pas comment aimer ? Sur quelle note quitter la scène ou un amour ? Arnaud Desplechin pose ces questions en touches légères, sans s’attarder. Ici, la psychanalyse, les symboles ne pèsent pas. Les histoires, d’amour, d’amitié ou de filiation se suivent dans les rues et dans le parc de la Tête d’or de Lyon, superbement filmée. Que peut-on réparer ? Petits arrangements avec les morts ou avec les fantômes, comment avancer avec les vivants et les morts qui nous accompagnent ? Claude, comme Mathias parlent de la mort avec le jeune garçon de huit ans en toute simplicité.
Ce Desplechin-ci est sans doute moins âpre, moins troublant que Rois et Reines ou Les Fantômes d’Ismaël. Il est tout aussi beau. Simplement, il se situe sur le versant plus lumineux, apaisé, des amours. Et quelle joie de retrouver Hippolyte Girardot, dans un rôle d’agent flamboyant, à la mesure de sa folie.
Deux pianos, d’Arnaud Desplechin, France, 1h55, avec François Civil, Nadia Tereszkiewicz, Charlotte Rampling, Jeremy Lewin, Hippolyte Girardot. Sortie le 15 octobre 2025.
Visuels (c) Le Pacte