Dans ce premier long-métrage d’Alice Douard, deux femmes attendent l’arrivée de leur premier enfant. Céline, surtout, qui n’est pas enceinte, se demande si elle sera à la hauteur de ce grand changement. Ce portrait réaliste entre rires et larmes actualise le thème de la parentalité en prenant comme point de départ le désir d’enfant d’un couple lesbien. Le doute qui précède la naissance devient universel et rafraîchit la vision traditionnelle de la famille.
Céline attend et s’inquiète. Sa compagne, Nadia, est tombée enceinte grâce à une PMA (procréation médicalement assistée) effectuée au Danemark. Le couple vit à Paris et s’est marié il y a quelques mois, dans la foulée de l’adoption de la loi de 2013 autorisant les personnes homosexuelles à se marier. L’intrigue se déroule au printemps 2014, alors que les couples concernés tâtonnent face à une reconnaissance juridique qui ne leur facilite pas la tâche. Pendant les derniers mois de la grossesse, Céline cherche sa place, a des rendez-vous administratifs, doit montrer qu’elle fera, elle aussi, une bonne mère.
Des preuves d’amour navigue entre ironie légère et absurdité dramatique. Dès le début, un fossé naît entre la simplicité amoureuse de Nadia et Céline, interprétées par les géniales Monia Chokri et Ella Rumpf. Puis la caméra d’Alice Douard s’attarde sur le quotidien un peu anxiogène de cette dernière, désormais obligée de jongler entre sa relation, son métier de régisseuse-son et les demandes de l’Etat. Pour que l’enfant soit reconnu comme étant, aussi, celui de Céline, elle doit rassembler une quinzaine de témoignages de ses proches, « de préférence pas que des amies lesbiennes » qui montre qu’elle ferait une bonne mère. L’annonce tombe un jour ensoleillé, dans le bureau d’un appartement haussmannien. Ce rendez-vous, Céline s’y était préparée comme pour aller à un entretien d’embauche. Elle en ressort sonnée, elle ne s’attendait pas à ça. La vision pragmatique et déshumanisante de cette nouvelle famille à construire choque. La société aura, jusque dans la reconnaissance de l’enfant, quelque chose à dire sur le rôle de mère de l’héroïne.
La caméra suit cette femme qui se sent à côté, qui doute. L’îlot rassurant qu’elle a construit avec Nadia apparaît comme son unique certitude. Alice Douard filme au plus proche : les yeux humides de désir pour la femme aimée, le ventre rond de Nadia sur lequel Céline pose son oreille. Mais les couleurs chaudes de ce cocon n’échappent pourtant pas à une autre ombre qui rôde : Nadia non plus n’est pas rassurée. Elle aussi subit ses excès d’hormones, des montagnes russes émotionnelles et la pensée vertigineuse d’avoir à s’occuper de quelqu’un d’autre pour toujours. Céline la rassure comme elle peut, maladroitement.
Elle s’entraîne avec les enfants des autres, devient baby-sitter, se questionne sur la relation compliquée à sa propre mère, liste avec sa compagne les prénoms favoris pour la petite fille qui va venir… Avec humour et gravité, le film confirme la vie de chaque parent : élever un enfant n’est pas inné, tout cela se construit avec les vécus passés, les idéaux, les interrogations qui paraissent insurmontables. Ces preuves d’amour, ce sont certes signatures administratives, mais ce sont aussi tous ces petits moments, mouvements, qui traduisent l’envie, le désir puis la responsabilité qui se concrétisent au moment où l’enfant arrive dans les bras de ses parents.
En dynamitant le modèle classique de la famille nucléaire, Alice Douard rend universel ce thème de la parentalité. Cette plongée dans le quotidien précédant la naissance donne une dimension réaliste à une période sur laquelle les récits s’attardent plus rarement. Pourtant, cette préparation au bouleversement apparaît comme un terreau fertile pour l’imagination, ces deux mamans composant avec un réel trop pressurisant pour inventer leur propre monde.
©Tandem Films