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David Hertzog Dessites : « Michel Legrand est un enfant qui a rêvé toute sa vie »

par Hanna Kay
18.11.2024

Au festival du film franco-américain de Los Angeles, devant une salle comble, nous avons assisté à la projection d’un documentaire racontant, avec la poésie des émotions, à travers la nostalgie d’une époque artistique si créative, la musique de Michel Legrand. Rencontre avec David Hertzog Dessites,le réalisateur de « Il était une fois Michel Legrand », prix du meilleur documentaire à ce festival.

Une envie gargantuesque d’une vie qui danse, de partage, de sourire !  Michel Legrand, finalement resté pour toujours un petit enfant griffonnant ses partitions au crayon qui s’émerveillait de tout, et s’énervait aussi parfois d’un rien, au nom d’une exigence artistique absolue. David Herztog Dessites, réalisateur de cette incroyable aventure musicale, racontée jusqu’au dernier concert de Michel Legrand à Paris, nous parle du compositeur et de son film…

Votre film n’est pas un simple documentaire, c’est un partage d’émotions, de souvenirs, de cette envie folle de ne jamais « perdre le goût de la vie », comme vous le dites dans le film. Comment avez-vous choisi votre façon de raconter Michel Legrand ?

Je l’ai suivi et côtoyé de très près dans son quotidien pendant près de deux ans. J’ai essayé de le comprendre dans son intimité. La temporalité de l’histoire qui nous mène jusqu’à son dernier concert a imposé un ordre chronologique. Michel Legrand était une personnalité forte, un génie imparfait, passionné et extrêmement attachant. Je voulais montrer toutes ses facettes. A partir du fil conducteur chronologique principal, nous avons donc trouvé le moyen de basculer tout au long du film sur les différentes époques de sa vie où il faisait de l’arrangement de chansons, où il était pianiste de jazz, où il a même été chanteur lui-même.
Le dernier concert de Michel Legrand à Paris est très émouvant car jusqu’au dernier instant, on ne sait pas s’il va être en capacité physique de le faire..
On s’est rendu compte que c’était vraiment intéressant d’emmener les spectateurs à essayer de ressentir ce moment-là, comme nous l’avions vécu à ses côtés. Nous, on avait vraiment l’impression qu’il allait mourir sur scène, tant il était affaibli. La chef-monteuse du film Margot a cherché à recréer cette tension. Nous voulions que le spectateur soit au centre du film et que chacun ait l’impression d’avoir assisté à ce concert.

Michel Legrand n’avait pas la réputation d’être une personnalité « facile ». Qu’en pensez-vous ?

C’est très émouvant de voir le public du cinéma applaudir à chaque projection, c’est comme si on était au concert, comme si Michel était toujours là parmi nous. Il avait un caractère très contrasté : il pouvait être à la fois très dur, calomniant, insupportable, et tout de suite après , nous donner les émotions les plus belles. Il y a beaucoup de scènes qui me touchent dans le film. La partie qui se déroule en Pologne me fend le cœur : ce moment où il injurie tout le monde et puis juste après, où il se met sur ce piano et il livre cette performance improvisée en citant Frédéric Chopin, en riant comme un gamin….

Il incarne également une légende le votre enfance puisque votre mère l’écoutait beaucoup. Comment avez-vous décidé de le rencontrer ?

La première fois que je l’ai vu, c’était au théâtre du Châtelet en 2012. J’étais complètement sidéré par le fait de regarder cet homme sur scène qui, à l’époque déjà, faisait un ciné-concert. C’est-à-dire qu’il projetait des extraits de films à l’écran et jouait par-dessus. À la suite de cela, j’ai pris contact avec son manager à Londres. Mais rien. J’ai continué mes films. Entre-temps, j’ai rencontré l’immense compositeur Ennio Morricone. J’ai fait un documentaire sur lui qui, visiblement, a été très apprécié. Deux ans plus tard, j’ai su que Michel donnait un concert privé sur une terrasse au festival de Cannes. Au culot, je suis allé le voir à la fin, en lui disant : « Monsieur Legrand, il faut que je vous dise quelque chose : si j’existe, c’est un peu grâce à vous. Ma maman écoutait votre musique lorsqu’elle était enceinte de moi et j’adore votre musique ». Il m’a répondu: « Oh c’est formidable, j’adore, j’adore ». Et il s’en va. Je laisse ma carte à son manager et puis rien. Deux semaines plus tard, comme par miracle, je reçois un coup de fil de Londres. C’est le manager de Michel qui me demande si je veux toujours faire un film sur Michel Legrand. Je le rencontre à Paris et l’histoire a commencé.

Si vous deviez résumer la personnalité de Michel Legrand en quelques mots…

C’est un enfant qui a rêvé toute sa vie. C’est ce qui l’a maintenu en vie malgré sa maladie, pour trouver l’énergie de faire des concerts jusqu’au dernier instant. C’est un poète qui parlait avec son piano, qui pouvait écrire des textes, qui connaissait plein de poèmes par cœur. Parfois, on était à table, il s’arrêtait, et il nous récitait un poème. Un grand naïf qui disait que « Tout ce qui n’intéresse pas un enfant, il s’en débarrasse ».

Vous évoquez dans le film le fait qu’il ait été abandonné par son père, lui-même musicien. Quel lien affectif cela a-t-il pu créer pour lui avec la musique ?

On peut imaginer que Michel a toujours cherché son père, malgré ce qu’il disait. Finalement, la musique était peut-être la seule façon de recréer une connexion avec son père. Mais seul lui a la réponse… Raymond, son père est revenu vers lui quand il a su qu’il était premier de sa classe au conservatoire. Lui et Michel ont notamment collaboré sur des musiques des premiers films de Pagnol. Ils les composaient en 24 heures. Michel arrivait tôt le matin, jouait des thèmes au piano, écrivait tout et ils enregistraient l’après-midi. Il a toujours travaillé dans l’urgence. Se mettre en danger stimulait sa créativité.

Il a traversé un épisode dépressif vers l’âge de quarante ans. Que s’est-il passé alors qu’il avait déjà une carrière phénoménale ?

À cette période de sa vie, où il composait énormément, il s’est retrouvé confronté à la peur que tout s’arrête, la peur de la mort. Il a fait un énorme burn-out. C’est ce que peuvent traverser des gens très sensibles. On en avait discuté, lui et moi. Longtemps, j’ai aussi été terrifié par la mort. Beaucoup moins maintenant. De temps en temps, j’ai des moment de panique. Je me dis que je ne peux pas imaginer deux secondes que tout s’arrête…

Votre film est projeté aujourd’hui au festival franco-américain de Los Angeles . Qu’est-ce-que Michel Legrand est allé chercher dans la culture américaine ?

Michel avait de façon innée les bases de la culture américaine. Il composait des musiques françaises à la mode Broadway. C’est la raison pour laquelle quand Henry Mancini (grand compositeur américain de musiques de film) l’a rencontré, il lui a dit : « Je ne vous connais pas, mais je sais ce que vous faites ». Il avait entendu les musiques des films de Jacques Demy, Les Parapluies de Cherbourg et Les Demoiselles de Rochefort. Et puis Michel adorait le jazz et la musique noire américaine. Son album « Legrand Jazz » , gratuitement financé par Columbia records, rassemble les plus grands noms du jazz : Miles Davis, John Coltrane, Bill Evans, etc…

Travaillait-il souvent son piano ?

Tous les jours… Il a passé 82 ans de sa vie à faire du piano. Il n’y a pas un jour où il n’en a pas fait. Il travaillait la technique classique. Il s’était fait confectionner un clavier portatif sans son, uniquement pour entraîner ses doigts sur les touches. Quand il rentrait dans l’avion, il le dépliait et entraînait sa dextérité. Il admirait beaucoup le pianiste Erik Berchot, le pianiste de Charles Aznavour, qui a beaucoup collaboré avec lui. Il était fasciné par sa technique pianistique et sa façon de jouer.

Si Michel Legrand était toujours vivant, quel genre musical composerait-il aujourd’hui ? Aurait- il su se renouveler ?

Il se renouvelait en permanence. Il jouait du jazz, il était orchestrateur, arrangeur de chansons, compositeur. Dès qu’il sentait qu’il avait fait le tour de quelque chose, il passait à autre chose. Aujourd’hui, il serait sans aucun doute un compositeur classique.
Comment les enfants de Michel Legrand, Benjamin et sa sœur Eugénie, ont-ils accueilli ce film ?
Ce sont des personnes extrêmement gentilles. Cette photo du baiser de Benjamin sur le berceau de sa petite sœur, que l’on montre dans le film, met en avant toute cette tendresse. Ils ont beaucoup aimé le film et Eugénie m’a dit qu’elle avait retrouvé « l’homme qu’était son père » à travers ce documentaire, ce qui m’a beaucoup touché.

Que retenez-vous de cette aventure avec Michel Legrand ?

L’amour que j’ai reçu. Depuis le début de ce film, depuis le mois de mai, c’est une overdose. Parce que c’est un film sur l’âme qui touche tout le monde, même les plus jeunes. Une petite fille de 9 ans, Angèle, est tombée amoureuse du film et l’a déjà vu plusieurs fois. Ses parents m’ont transmis ses lettres et c’est très touchant de pouvoir partager cela. Michel Legrand est l’homme que j’ai le plus aimé qui ne fait pas partie de ma famille. C’est comme un père de substitution. Ce qui est drôle c’est que grâce à ce film, j’ai moi-même retrouvé la reconnaissance de mon père et je porte aujourd’hui aussi son nom, Hertzog. Grâce à ce film, dans le même temps, Michel Legrand m’a offert la reconnaissance artistique que j’attendais et mon père m’a offert la reconnaissance paternelle. Magnifique.

« Il était une fois Michel Legrand », prix du meilleur documentaire au festival du film franco-américain de Los Angeles, sortie française le 04/12/2025.

Photos : Festival américain (c) Thomas Bartel / Michel Legrand (c) David Dessites