« Conversation with the sun » à Pompidou : Apichatpong Weerasethakul mêle veille et sommeil

Images et imaginaires

Un écran au centre de la pièce. Sur chaque face, un personnage endormi, une vieille femme et un jeune homme. S’iels semblent tout d’abord immobiles, l’on peut progressivement percevoir un battement de paupière ou un mouvement de respiration. Mais cette image est peu à peu remplacée par une autre, celle d’un jardin, d’une tempête ou d’un rassemblement. Alentour, des sons métalliques, aux allures de gongs, accompagnent les vidéos sans jamais reproduire de manière réaliste le son des éléments : c’est au public, par la force de son imagination, que de relier ce qu’il voit et ce qu’il entend. Quelques lignes de texte, en anglais et en français, apparaissent, comme de mystérieux commentaires, qui tournent autour de la question de la marche et du regard.

Car marche et regard, il y aura. C’est en effet là l’objet de la deuxième partie de cet étrange périple visuel. En fait de lunettes, spectateurs et spectatrices chaussent des masques de réalité virtuelle. Concession à la mode ? Non, car cette entrée dans une nouvelle réalité produit sur le public « un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », qui lui fera perdre totalement pied.

Entre veille et sommeil

Et pourtant, iels marchent ! Les participant·es de cette étrange escapade évoluent au travers de cette pièce qui sans cesse se transforme. Un noir plein, tout d’abord, seulement constellé des points lumineux signalant les masques des autres spectateur·rices. Jusqu’à ce qu’un demi-disque s’extraie progressivement du sol, aimantant le regard de tou·tes. Des météorites descendent avec douceur du ciel toujours obscur, tandis que le sol disparaît, laissant un immense gouffre sous les pieds des un·es et des autres. Les visiteurs et visiteuses ont beau savoir qu’il ne s’agit là que d’un phénomène optique, iels marchent alors avec précaution, perdu·es à nouveau dans leur appréhension de leur environnement comme de leur propre corps.

Les paysages, lunaires ou terrestres, défilent ainsi sous les pieds les yeux de spectateur·rices en proie à un éternel doute. Iels ne savent plus où iels sont, ni ce qu’iels font, remontant le cours de l’espace et du temps. À la manière des dormeur·ses de tout à l’heure, iels sombrent dans un univers suspendu entre veille et sommeil, accompagné avec pudeur et précision par le son de Ryuichi Sakamoto.