« Conclave » : dans les coulisses de l’élection d’un pape

Du noir et blanc super colorisé

Le parti-pris esthétique est celui de l’outrance et de la caricature : le film nous immobilise dans un huis-clos un peu étouffant entre des hommes en proie aux passions tristes. Dans le genre sinistre et beau, on a des images impressionnantes des architectures ancienne et moderne du Vatican, des clairs-obscurs caravagesques, de jolis coups d’œil.

Les tableaux de groupe sont dans cette veine : les cardinaux sont mis impeccablement, en technicolor, pas un pli à leurs soutanes. Ils sont aussi uniformément tristes, seuls et affolés. La catharsis est poussée au maximum pour isoler le côté sinistrement politique d’un conclave. Ce choix est défendable, à cause de cette catharsis, justement, mais on finit par oublier qu’un cardinal est souvent polyglotte, cosmopolite, brillant causeur, rarement idiot, et que l’ambiguïté catholique tient aussi dans ce charme à la fois suranné et moderne du clergé à ce niveau.

Le Christ a-t-il un corps ?

Comme prêtre, je me suis surtout retrouvé dans les coups de théâtre qui m’ont rappelé ceux d’assemblée électives auxquelles j’ai participé. Les campagnes officieuses de ou pour tel candidat, les révélations qui anéantissent les espoirs d’être élu, les ressentiments, les coups-bas etc… Le climat de cette élection m’a rappelé bien des souvenirs, et non ! ce côté politique n’est en rien caricatural. L’Église fonctionne comme un corps politique, même si rien dans sa théologie ne permet d’appréhender son fonctionnement politique concret. Elle se considère comme le corps continué du Christ, mais elle ne sait pas comment appréhender la matière de ce corps. Le Christ, mais sans la chair, et cachez-moi ce fonctionnement bassement humain que je ne saurais voir ! Certains sous-entendus ecclésiastiques, certains sourires, des silences merveilleux sont bien croqués. La religieuse (Isabella Rossellini), volontairement asservie et rebelle dans l’exacte mesure où elle se laisse asservir, est fascinante, ici encore, d’ambiguïté. Les tendances libérales ou conservatrices entre les cardinaux, le poids des pays ou des continents d’origine sont bien montrés même si, là encore, le réalisateur caricature pour simplifier. On se retrouve à Rome côté logement : intérieurs en marbres noirs et verts, couloirs de couvents italiens etc. Très bien vu.

Le parti-pris est libéral : d’un côté la tolérance, de l’autre le fascisme. Le facho est très bien joué jusqu’à une scène où il devient idiot alors qu’il ne l’est pas. L’acteur principal, qui joue le doyen du Sacré-Collège, est très émouvant. La tentation de l’orgueil, qui le frôle à un moment inattendu, est joliment montrée. Son homélie sur le doute est très belle. Ce n’est pas une apologie du manque de foi, comme l’ont chroniqué les conservateurs catholiques, mais une défense de l’humilité quand il s’agit des opinions personnelles que l’on s’est forgées : Dieu est plus grand que nos idées, semble-t-il dire. Rien à voir avec le doute cartésien.

Ce film pose beaucoup de questions sur la possibilité de maintenir unie une Église de plus en plus diverse et archipélisée. Le discours officiel magnifie l’unité, mais c’est un discours de l’Église sur l’Église. Le film interroge la crédibilité d’une institution que la modernité bouscule jusque dans ses fondements, et que le pouvoir temporel ne soutient plus.

Conclave n’est peut-être pas un chef-d’œuvre, mais c’est un film intéressant. Les grosses ficelles de la fin font douter de l’intelligence de ce qui a précédé, comme si le réalisateur était victime de sa caricature