La ville de Montpellier se transforme en festival de cinéma pour Cinemed, le temps de réjouir des spectateurs nombreux, habitants de la ville ou venant de loin pour apprécier des avant-premières, des rétrospectives, des rencontres, des conférences et d’autres joies autour des films de la méditerranée.
Reda Kateb est là pour présenter son nouveau film sur les clowns si précieux à l’hôpital, il discute avec des jeunes, rencontre le public présent au festival avec la délicatesse qui le caractérise. Jeudi 24, 21H, le film Que dios nos perdone est programmé au centre Rabelais. Son réalisateur, le madrilène Rodrigo Sorogoyen est présent. Les festival présente une rétrospective de sa carrière qui commence ici même à Montpellier avec le film Stockholm. Il est fier d’être là, parle avec les spectateurs de la salle comble et raconte comment il a écrit le scénario de ce film au cas où Stockholm aurait un succès. Ce fut le cas ! « Que dios nos perdone nous plonge dans une ambiance de policière Espagnole, un policier à la violence latente mais contrôlée dont le binôme est un criminologue brillant et bègue.
Tous les ingrédients de la bonne recette du thriller sont mélangés, l’humour en sus. Chaque détail, chaque image et sa lumière sont contrôlées, le spectateur est aspiré dans cet univers comme s’il menait lui-même l’enquête. La voix de Christophe Hondelatt en moins, les spectateurs français doivent cheminer dans le film sans son assistance vocale.
Que Dios Nos Perdone : un thriller captivant et saisissant de Rodrigo Sorogoyen
Sorti en 2016, le film Que Dios Nos Perdone (Que Dieu Nous Pardonne), réalisé par le cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen, est une œuvre puissante qui transcende le simple thriller pour explorer les tourments psychologiques de ses personnages dans une société en proie à des tensions politiques, sociales et morales. Salué pour son intensité dramatique et la finesse de sa mise en scène, ce long-métrage dépeint avec maestria l’univers sombre et oppressant d’une Espagne en crise.
Synopsis et cadre socio-politique
Le film se déroule à Madrid en 2011, au cœur d’un été particulièrement difficile où la capitale espagnole est plongée dans un climat délétère.
D’une part, l’Espagne est secouée par la crise économique et les vagues de protestations sociales des Indignados ; d’autre part, la ville est en effervescence à l’approche de la visite du pape Benoît XVI, et les rues grouillent de forces de l’ordre et de pèlerins. C’est dans ce contexte qu’une série de meurtres de femmes âgées, sauvagement assassinées, vient hanter la ville. Deux inspecteurs de police, Alfaro (Roberto Álamo) et Velarde (Antonio de la Torre), aux méthodes et caractères radicalement opposés, se voient confier la tâche d’élucider ces crimes sordides et de stopper ce qui semble être l’œuvre d’un tueur en série particulièrement brutal.
L’un des points forts de Que Dios Nos Perdone réside dans le traitement profondément nuancé et troublant de ses personnages principaux,
Velarde et Alfaro, incarnés de façon magistrale par Antonio de la Torre et Roberto Álamo. Velarde, introverti et tourmenté, souffre d’un bégaiement qui le rend nerveux et maladroit dans ses interactions, tout en cachant une perspicacité froide et calculatrice. En contrepoint, Alfaro est un policier brutal, colérique et impulsif, prompt à user de la force pour obtenir ce qu’il veut, faisant écho aux méthodes musclées de la police espagnole de l’époque. Leurs personnalités dissonantes et souvent conflictuelles créent une dynamique fascinante où la ligne entre le bien et le mal devient floue.
Sorogoyen explore ainsi, à travers ces personnages, les mécanismes de la violence latente au sein de la société et les failles psychologiques de chacun face aux pressions externes. Les deux policiers deviennent les miroirs d’une société troublée et révèlent, peu à peu, que l’horreur et la noirceur ne se trouvent pas uniquement chez le tueur, mais également en eux-mêmes. Les actes de violence, s’ils apparaissent justifiés par l’enquête, deviennent une extension des tensions et frustrations que ces hommes refoulent, exposant la fragilité des frontières morales dans un contexte de survie et de justice.
Rodrigo Sorogoyen excelle à instaurer une atmosphère oppressante, où la tension va crescendo. L’éclairage, majoritairement sombre et austère, et le cadrage serré sur les visages ou les détails oppressifs des lieux accentuent l’intimité, voire l’asphyxie, que ressent le spectateur. Les rues de Madrid sont filmées comme des labyrinthes suffocants où le danger et la décadence rôdent dans chaque recoin, créant un cadre visuel qui reflète l’instabilité psychologique des protagonistes.
La mise en scène se distingue par sa capacité à capturer des instants d’une intensité rare. Sorogoyen, fidèle à son style percutant, utilise des plans-séquences, des silences pesants, et des gros plans oppressants pour plonger le spectateur dans un sentiment d’urgence et d’inconfort. Il évite les effets de choc gratuits pour plutôt miser sur une montée en puissance subtile de l’angoisse et de la tension, rendant chaque scène de confrontation – entre les policiers, les témoins, ou encore le tueur présumé – d’autant plus saisissante.
Le titre du film, Que Dios Nos Perdone, évoque la question de la rédemption et du pardon, sans jamais offrir de réponse claire. La violence des crimes commis par le tueur en série, tout autant que celle exercée par les policiers eux-mêmes, interroge sur la place de la morale dans la recherche de justice. Sorogoyen questionne, avec une précision chirurgicale, les contradictions morales que vivent ses personnages, dévoilant une vision pessimiste où la quête de justice est inextricablement liée à une perte de l’innocence.
À travers cette thématique, le film pose une question fondamentale : qui a le droit de pardonner ? Et surtout, jusqu’où peut-on aller pour obtenir la justice ? Les personnages principaux, pris dans ce tourbillon de violence et de corruption, se retrouvent à faire face à leurs propres démons, réalisant que leurs méthodes, bien qu’efficaces, les entraînent vers une forme d’aliénation morale. La dimension religieuse est également palpable : dans une Espagne marquée par un catholicisme fort, la notion de pardon prend une résonance particulière, tout en montrant l’écart entre l’idéal de rédemption et la dure réalité de la justice humaine.
Que Dios Nos Perdone est bien plus qu’un simple thriller policier ; il s’agit d’une œuvre qui pousse le spectateur à une réflexion intense sur la moralité, la violence et la place du pardon. Rodrigo Sorogoyen nous offre un film captivant où l’enquête policière se double d’une quête introspective, les héros devenant anti-héros au fur et à mesure que leurs failles apparaissent. Porté par des interprétations d’une justesse remarquable et une réalisation magistrale, ce film laisse une empreinte durable, interrogeant non seulement la nature humaine, mais aussi les limites de notre propre compassion.
Que Dios Nos Perdone est, en somme, un cri désespéré face à la noirceur de l’âme humaine, un chef-d’œuvre qui confirme le talent de Sorogoyen dans le paysage cinématographique contemporain.
Demain d’autres aventures montpelliéraines cinématographiques nous attendent dans les salles sombres et joyeuses.