Au Festival Cinemed, samedi 18 octobre a célèbré l’ouverture officielle de la compétition avec le retournant La Voix de Hind Rajab et l’étonnant Little Trouble Girls. Toutefois, la journée commence par une plongée en Italie des années 1960 avec la rétrospective Dino Risi.
ParJuliette Vine Decup
Dans Une vie difficile nous suivons l’histoire de Silvio Magnozzi (Alberto Sordi) ancien résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, qui tente d’établir une vie conforme avec Elena Pavinato (Lea Massari) malgré ses ambitions artistiques. Ce film sort en 1961, dans la période de renouveau du cinéma italien porté par les extraordinaires L’avventura et La dolce vita. Chez Risi, le ton est bien moins sérieux et la salle rit aux éclats à plusieurs reprises. Il propose une autre vision de l’Italie post-fasciste.
En janvier 2024 est publié sur les réseaux sociaux du monde entier la voix de Hind Rajab, petite fille gazaouis de 5 ans cachée dans la voiture familiale, entourée de tanks et suppliant au téléphone le Croissant-Rouge palestinien de lui venir en aide. De l’enregistrement de cet appel, Kaouther Ben Hania décide de réaliser son film, quasi-documentaire, retraçant les 3 heures d’écoute et d’intervention. L’utilisation des vrais enregistrements et l’enfermement dans ce huis-clos saisissent. Une mise en scène remarquable confond la réalité et la retranscription pour nous plonger au cœur du drame en cours. Cette œuvre nous rappelle que l’art est politique et permet le rassemblement de tous pour défendre les valeurs humanitaires.
Dans ce premier long-métrage de Nicolas Keitel, on suit le drame familial causé par l’interposition de Marion entre sa mère et son compagnon violent. Alors âgée de 10 ans, elle prend peur et s’enfuit chez son père, créant une coupure familiale dont on ne se remet jamais vraiment. Noémie Lemaitre Ekeloo, 11 ans, interprète Marion en offrant une performance intense et toujours juste. La différence de ton avant et après le drame plonge réellement dans les peurs intérieurs qui traversent le personnage.
Le travail autour de la lumière offre une beauté intime. Dans une scène où la protagoniste pose sa tête contre la vitre d’une voiture, la larme qui coule sur sa joue se reflète au rythme des lumières de la ville, dans une émotion touchante. Les nombreux couloirs et portes font écho à l’enfermement émotionnel de Louise, qui a peur de se dévoiler. Scénarisé, réalisé et monté par Nicolas Keitel, l’ensemble est d’une cohérence implacable. L’intimité des raports exposés est traitée avec beaucoup de douceur.
Le genre dramatique n’est pas réinventé mais ce sont deux heures de vrai cinéma, une belle réussite !
Dans un monastère slovène, une chorale d’adolescentes participe à un stage intensif de chant. A 16 ans, elles se questionnent sur les pulsions sexuelles qui les traversent, limitées par les tabous religieux et sociétaux sur le désir féminin. Urska Djukic signe ici son premier long métrage sans concession pour aborder subtilement un sujet universel : la découverte du désir.
Le film enchaîne les plans rapprochés sur les personnages lors de scènes de chants où la jeunesse des protagonistes est rappelée constamment, notamment avec une membre de la chorale dont on voit clairement l’appareil dentaire. Quelques plans fixes parsèment le film comme pour poser le cadre : le pont du diable au milieu de la campagne catholique slovène, les feuillages autour de la rivière… Des montages rapides de représentations religieuses et d’éléments naturels rappellent la poésie de Tarkovski, et rendent le décor acteur. Dans ce film, la religion n’est pas qu’une punition contraignante mais offre une alternative au désir encore incompris par la jeunesse fougueuse. Le thème rappelle Virgin Suicides, mais nous sommes moins dans le drame et plus dans l’exploration de soi.
Le film pousse à l’émancipation et donne la parole aux femmes à la fois dans les dialogues mais également dans le chant qui rythme le visionnage.
Cette première journée dense offre une vision panoramique du cinéma, allant de l’intime au sociétal, du drame à la comédie.Les rencontres organisées avec les nombreux réalisateurs permettent une meilleure compréhension de leur œuvre. Une place est toujours laissée au suspens, cher au septième art. Chacun sort du cinéma avec de nouvelles images collées à la rétine.
Visuels : Juliette Vine Decup