Cinemed 2023 : des débuts sous le signe de la résistance à l’oubli
par Geoffrey Nabavian22.10.2023
Le Festival du Cinéma Méditerranéen voit sa 45e édition se dérouler jusqu’au 28 octobre à Montpellier. On y croise des scénarios sur la lutte contre l’oubli. Et des rencontres entre identités méditerranéennes.
Du dessin animé aux roches d’Anatolie
Dans les premiers jours du Festival du Cinéma Méditerranéen, dont l’édition 2023 se déroule depuis le 20 octobre à Montpellier, on se trouve face à des films aux formes on ne peut plus variées. Le long-métrage qui ouvre les festivités, They shot the piano player, est par exemple un documentaire réalisé en dessin animé. Il se centre sur la quête d’informations d’un spécialiste quant à Tenorio Junior, pianiste brésilien de l’époque où naquit la bossa nova, disparu en Argentine au milieu des années 70. Dans un autre registre, lorsqu’on aborde les longs présentés en Compétition pour l’Antigone d’or, on croise Nuit noire en Anatolie. Lui prend place dans les montagnes turques et les petites villes qui les entourent, regardées assez frontalement, dans toute leur violence.
Pourtant, ces deux films se rencontrent sur le terrain de la lutte contre l’oubli. Ainsi, le héros de Nuit noire en Anatolie est un jeune homme qui se rend sur un territoire rural dont il est issu, pour se confronter à un souvenir qui le hante. Celui d’un acte collectif survenu sept ans plus tôt. Ainsi, comme le protagoniste central – qui existe dans le réel – de They shot the piano player, qui sonde le milieu des musiciens d’Amérique du Sud pour avoir leurs souvenirs de Tenorio Junior, le personnage de Nuit noire… secoue sa communauté d’origine. En menaçant au passage de dévoiler la culpabilité de tout le monde.
Résister à l’oubli contre les forces dominantes
Comme dans tous les bons scénarios sur ce thème, les forces qui veulent l’oubli sont là, à l’écran. Dans They shot the piano player, les fantômes des multiples dictatures au pouvoir en Amérique du Sud planent. Surtout, Nuit noire en Anatolie – en salles en France le 24 janvier 2024, distribué par Outplay Films – prend place dans une région rurale turque où toutes les tolérances n’ont pas cours. Il est l’un des films engagés de cette édition 2023 du Cinemed.
La communauté qu’il donne à voir, au sein de laquelle ce sont surtout les hommes qui s’expriment, accueille difficilement un jeune citadin venu travailler comme garde-forestier, aux habitudes éloignées des lieux. Un homme, en même temps, plus attaché à la nature que les habitants du coin, et qui retire donc leurs pièges à animaux. On apprécie ainsi la manière dont ce film turc fait montre de plusieurs dimensions, et traverse plusieurs thématiques de façon fluide, sans perdre son côté engagé. A ce titre, il atteint ces buts avec davantage de succès qu’Anna, autre long en Compétition cette année pour l’Antigone d’or sous la bannière de l’Italie, et plus maladroit. La réalisation d’Özcan Alper enregistre toute l’essence du contexte réaliste dur, mais sans rien appuyer. Surtout, elle n’oublie jamais de lui opposer la montagne, son identité, et ses mystères. Pas dépeinte comme un paradis, cette rocaille est cependant donnée à voir et à ressentir. On touche du doigt son identité profonde, sa beauté et la violence qui se déploie dans ses fourrés et sur ses flancs.
Les talents unis par-delà la Méditerranée
S’il montre une quête totalement réelle, They shot the piano player – en salles lui aussi le 24 janvier grâce à Dulac Distribution – reste aussi, dans la réalité, le fruit d’un travail entre plusieurs pays. Il est signé conjointement par les espagnols Javier Mariscal, qui a fait ses armes dans l’animation, et par Fernando Trueba, réalisateur oscarisé. Fernando Trueba, qui conclut son discours d’avant-projection lors de l’Ouverture du Festival avec la phrase « Vive la Méditerranée ! » En effet, outre l’Espagne et le Brésil – en passant par les Etats-Unis, car la voix-off du personnage est prise en charge par le mélomane Jeff Goldblum – une bonne partie du film a été faite aussi en France, dans le Sud. Les productrice et producteur des Films D’Ici Méditerranée Sophie Cabon et Serge Lalou le rappellent, ce soir-là. On apprécie qu’au final, cette besogne commune par-delà la Méditerranée permette la naissance d’un film qui donne autant à ressentir et à découvrir. Remarquable pour son travail en dessin animé sur les décors et leur multiplicité de détails, le long-métrage parvient aussi à bien se centrer sur l’histoire des débuts de la bossa nova. Et à les donner à connaître, dans leur dimension emblématique. Tout en essayant de ramener dans la lumière le nom de Tenorio Junior, trop vite disparu dans des circonstances politiques troubles, à ne pas oublier non plus.
En mettant en avant ce film qui fait émerger une mémoire et reste le fruit d’un travail intensif entre pays, le Cinemed offre un exemple précieux des missions qu’il a. On est heureux, donc, au soir de son Ouverture, de voir comment il aide la sortie de ce long-métrage en salles à se préparer. Comme il le fait également pour Nuit noire en Anatolie. À ce titre – et face à un public où se distinguent les lycéens en option cinéma comme d’habitude nombreux au Festival – Christophe Leparc, directeur, et Géraldine Laporte, chargée de programmation, de communication et d’actions pédagogiques rappellent ce rôle lors de l’Ouverture. Tout autant que le maire Michaël Delafosse ensuite, qui rappelle aussi la capacité de Montpellier à faire vivre et perdurer une foule d’initiatives culturelles disséminées, ouvertes sur l’ailleurs méditerranéen. Une mission de Festival importante à l’ère des plateformes qui misent surtout sur d’intenses campagnes de communication très ciblées. Lors de ces premiers jours, on la ressent parfaitement, cette invitation au public à venir découvrir.
Reste aussi au Festival à évoquer les combats qui agitent le présent tout récent, marqué notamment par l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre. À l’écran, le réalisateur Dani Rosenberg, en Compétition cette année pour l’Antigone d’or, adresse un message aux spectateurs depuis Israël. Tandis que le réalisateur et acteur palestinien Mohammad Bakri fait de même. Plus tard est évoquée l’invitation du Festival faite à l’association S.O.S. Méditerranée, pour une table ronde en présence de sa Directrice générale adjointe Fabienne Lassalle et de Leoluca Orlando, président du Festival et ancien maire de Palerme. Façons de garder au coeur du Cinemed, aussi, les très dures réalités de la Méditerranée.
Le Festival continue jusqu’au 28 octobre à Montpellier.
Visuel (c) Geoffrey Nabavian
