Extrêmement ambitieux, ce lent film d’auteur traverse bien des thèmes et veut beaucoup dire. On peut juger qu’il manque un peu de tenue. Cette carence est-elle à chercher du côté de son rythme, ou de sa mise en scène ?
La scène d’ouverture de Viêt and Nam est splendide. En effet, elle se passe dans un décor qu’on a du mal à comprendre clairement, à ce stade, mais qu’on aura le loisir de bien revoir ensuite. En revanche, l’on ne comprend pas trop le geste qui s’y déroule. Tant mieux : on se dit que tout ne nous sera pas donné tout de suite, ici. Donc, peu de temps après, on revoit les deux jeunes hommes vietnamiens personnages centraux, se donnant des baisers dans un coin de la mine où ils travaillent comme ouvriers. Et devisant sur eux-mêmes et sur leurs objectifs de vie. Le plan les cadre au niveau de leur taille, et derrière eux scintillent comme des astres : on comprendra vite ensuite qu’il s’agit d’une paroi de mine, mais tel quel, ce plan emmène le spectateur ailleurs, dans un espace flottant légèrement au-dessus du réalisme.
Le reste ne sera pas tout le temps du même acabit. Viêt and Nam est un film très lent. Les dialogues s’échangent au fil de soufflements qui prennent leur temps. Pourquoi pas. Ce n’est pas ce choix-ci qui maintient en dehors de lui et de la matière qu’il a à proposer. C’est bien davantage une impression d’éparpillement. Côté fond, le film est en effet extrêmement ambitieux : en plus d’être homosexuels et de cacher cela, les deux héros sont mentalement poursuivis par les fantômes de membres de leur famille morts pendant la Guerre du Vietnam. Et leur émigration pour un pays plus prospère que la société vietnamienne où ils vivent fait plus ou moins partie de leurs objectifs. Ce n’est pas tant, au final, que ces thématiques sont mal traversées : on a plutôt envie de déplorer que le film fasse des détours. Peut-être dans le but de laisser, en plus, le monde rural de la petite ville du Vietnam qu’il prend pour cadre se montrer dans ses faits et gestes, à l’écran, il s’autorise parfois des séquences qui viennent rompre les différentes trames traitées. Qui s’attachent encore à d’autres micro aspects du grand thème de fond évoqué ici. Ou qui, en prime, lui adjoignent des voix évoquant des faits passés et des souvenirs, parfois de manière très métaphorique.
Est-ce parce que ces plages superflues si on veut durent trop, qu’on finit par sentir l’attention qui décroche ? Ou cela provient-il de leur mise en scène ? On pencherait plutôt pour la deuxième affirmation. On a l’impression que ces séquences sont volontairement rendues plus difficiles d’accès qu’elles ne le sont en réalité. C’est un peu comme si le signataire du film nous les donnaient à voir en affirmant, derrière l’écran, qu’elles sont chargées d’une foule d’enjeux importants. Filmées de trop loin, mais en même temps ne montrant pas de façon concrète, elles lassent. D’autant plus dommage que le long-métrage comporte une suite de séquences remarquables, elles, où pour le coup l’attention se décale sur un personnage non central. A savoir une medium qui recherche, via contact avec esprits, des restes enterrés de morts de la Guerre du Vietnam. Interprète absolument grandiose, jouant ou vivant la « possession » on ne sait, temps pris pour observer les réactions des familles en recherche, gros plans sur des objets parfois déterrés, et conservés, sans que soit dit exactement ce qu’ils sont : on se passionne, on vibre, on se questionne. Le réalisateur Truong Minh Quy s’autorise alors une plus grande variété de types de plan. Surtout, il fait se rencontrer, vraiment, des blocs humains. Peut-être est-ce ce qu’il oublie dans une bonne part du métrage, laissant les entités qu’il met en scène trop dans leur coin, en train de méditer sur leurs fantômes et leur destin jusqu’à une forme d’immobilité.
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Visuel : (c) Nour Films