Le réalisateur Roberto Minervini poursuit son parcours : signant cette fois un film d’auteur historique, il place quelques hommes face à du vide. Et paraît donner à méditer.
Les personnages du nouveau long-métrage de Roberto Minervini sont chargés d’une mission qui les mène dans une sorte de vide, loin des hommes. Soldats se battant contre les Etats esclavagistes, alors que la Guerre de Sécession a lieu sur le continent nord-américain, ils doivent explorer un territoire inconnu encore, à l’Ouest, plus près de la frontière canadienne que du Sud de la Californie. Ils avancent, guettent un peu, s’occupent un peu d’eux-mêmes ou tuent le temps : autour d’eux, juste de la plaine à l’herbe peu avenante ou des arbustes, ainsi qu’un horizon gris. Ils sont loin du plus fort du conflit, là où tout se joue. C’est que Roberto Minervini, italien réalisant aux Etats-Unis, aime se fondre dans les marges. Pour d’une certaine manière mieux révéler ce qui se joue au coeur de la société américaine.
On apprend à les voir un peu vivre, ces patrouilleurs avançant quelque peu laborieusement. Ensemble, parfois, ils devisent de leur lien à leur famille, à leur religion, à leur pays. Peu d’émotion filtre d’eux, comme des images. Au passage, on ne s’émeut pas de les voir maigrir ou être physiquement harassés, ces hommes aux activités lourdes : ce n’est pas le but du long-métrage de les représenter comme ça. Mais progressivement, c’est la réflexion qui vient s’imposer avec douceur, au travers de l’écran. Le film scrute des américains d’hier engagés dans la défense d’un territoire : chercherait-il à sonder leurs mentalités, via de petites touches ? afin de mesurer à quel point elles sont proches, ou non, de citoyens des Etats-Unis du XXIe siècle ? Il ne s’agit pas là de procès, mais de prise en compte de l’Histoire et du passé comme parties intégrantes d’un présent et d’identités définies : on s’en rend compte, car la mise en scène ne juge pas. D’autre part, notre voix intérieur nous objecte que ces américains d’hier n’avaient pas le même horizon que ceux d’aujourd’hui. Mais qu’en sait-on, en fait ? On note alors que, dans la caractérisation des humains en présence, le scénario fait le choix de la simplicité : ceux qui définissent qui ils sont, via les dialogues, donnent des informations simples, destinées, on peut le penser, à toucher à l’universel, donc à l’ouverture.
De temps à autres, une difficulté vient perturber l’avancée de ces hommes guère précipités : un chariot qu’il faut aider à grimper un talus, ou des assaillants pilonnant de loin nos soldats. A ces instants, la caméra reste accrochée à leurs dos. Ne voyant que ce qu’ils voient eux, elle se meut à leur rythme. En de tels moments, on parvient à sentir ces hommes face non pas au danger, mais au cinéma. Tout en se faisant mobile, la mise en scène semble réfléchir elle-même, chercher à trouver le meilleur angle pour donner à ressentir au mieux ce qu’éprouvent ces hommes. Alors, face à l’écran, on se prend à songer à l’histoire des grands exemples de cinéma hollywoodien épique, montrant les humains face à l’Ouest et son histoire. On a envie de saluer les équipes opérant avec les caméras, pour leur extrême précision, menant à de l’esthétique extrêmement ouvert et intelligent. Et la musique : lorsque les soldats avancent péniblement vers l’ennemi au loin, des violoncelles s’activent. Et le travail pointu sur la manière dont doit sonner la partition qu’ils exécutent provoque les mêmes pensées : cette bande originale médite presque sur elle-même, sur sa nature de musique destinée à du cinéma épique montrant des hommes face à l’Histoire.
Restent aussi ces quelques instants où le film dévoile un plan tout à coup en rupture avec ce qui le précède, venant rompre la tranquillité ambiante. Une vue brutale d’un campement où plus personne n’est vivant, avec un cadavre à terre, physiquement très crédible en tant que cadavre. Ou des assaillants dont on ne connaîtra rien, qui viennent au galop encercler un soldat seul. A cet instant, ils sont dans le flou : immédiatement, on reçoit en pleine tête les questionnements de tous types qui se bousculent dans la tête de notre homme cerné. Le long-métrage apparaît au final comme imaginé avec un assez savant dosage de pics émotionnels très brefs, et de plus longs instants en réflexion sur eux-mêmes.
Visuel : © Okta Film scaled