Linéaire et angoissant, le film d’Emanuel Pârvu, 3 kilomètres jusqu’à la fin du monde, montre l’enchaînement incontrôlable des esprits étriqués. Magistral et en piste pour le palmarès.
Tout commence par un baiser… entre deux garçons. Un fait qui, en 2024, pourrait n’être que banal. Mais l’un des deux, Adi, rentre chez lui avec de multiples hématomes. Il s’est fait frapper, mais par qui ? Et pour quelle raison ? La raison, on la devine rapidement et sa révélation va produire une effervescence panique chez ceux qui possèdent l’information. Quoi ? Il y aurait un pédé dans le village ! C’est une maladie, personne n’en doute. C’est passager, beaucoup l’espèrent.
Outre la honte, c’est aussi la porte ouverte au déferlement des invertis qui – on le sait ! – ne peuvent apporter que la désolation morale.
Le souci, c’est que l’engrenage infernal va élargir progressivement le cercle de ceux qui sont dans le secret (secret pas toujours explicitement dit) et que la machine infernale ainsi lancée risque de tout balayer sur son passage…
D’un fait ordinaire, le film, peinture de la bêtise et de l’intolérance ordinaires, prend vite l’allure d’un quasi thriller où chaque étape peut être pire que la précédente. Pour les parents, il faut extirper le mal, quitte à exorciser Adi. Pour le jeune homme (Ciprian Chiujdea, admirable), la seule option est la fuite, mais peut-il arriver à parcourir les trois kilomètres qui sépare la maison familiale du ponton sur le Danube et le départ espéré vers une autre vie ? Et rien n’est jamais simple, ni caricatural, dans un cas pareil. L’adolescent est tiraillé entre ses amours interdites et ses parents qui exercent sur lui une emprise morale et, parfois, physique ; et eux, Bogdan Dumitrache et Laura Vasiliu, sont perpétuellement ébahis et incapables même de comprendre.
Ce qui est passionnant, c’est que le film, plutôt que d’accuser, met en évidence l’étroitesse d’esprit, le refus de la sexualité différente, la peur du qu’en-dira-t-on. Hormis le « gros prêtre » (Adrian Țițieni, monolithique) qui fonctionne à la théologie et théorise parfaitement l’assimilation homosexualité = maladie, et le flic (excellent Valeriu Andriuță) qui tente le pragmatisme (tout en faisant attention à limiter la catastrophe, mais en prenant garde à ne pas obérer son avenir personnel), les idiots du village, parents en tête, errent en proie à la panique.
Quant aux mystères et non-dits, ils sont admirablement mis en évidence comme seule échappatoire lorsqu’on est différent. Ali ne peut pratiquement jamais exprimer ses sentiments et son amie Ilinca (pudique Ingrid Micu-Berescu), sa probable « couverture », court tout le temps… après une solution pour protéger le jeune homme. Montrer où peut mener la bêtise pure, dans une forme narrative épurée et linéaire, est, probablement la plus grande force de ce film admirable dont l’aboutissement, simple, est une délivrance hautement émouvante.
Trei kilometri pana la capatul lumii d’Emanuel Pârvu, avec Ciprian Chiujdea, Bogdan Dumitrache, Laura Vasiliu, Valeriu Andriuță, Ingrid Micu-Berescu, Adrian Țițieni…, Roumanie, 1h45. En Compétition officielle au 77e Festival de Cannes.
Visuel et distribution : © Memento distribution
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