On les attendait, ils nous comblent. Le duo de réalisateurs chiliens Joaquin Cocina et Cristobal Leon délaisse l’animation pour adultes pour un film qui mêle vrais acteurs et marionnettes. Un film porteur d’une magie très noire.
Il est rare de tomber sur un film où le fond comble autant que la forme. Le duo de réalisateurs chiliens Joaquin Cocina et Cristobal Leon était parvenu à cet équilibre en 2018. On découvrait leur film d’animation pas destiné aux enfants La casa lobo, traçant au sens littéral sur des murs le parcours mental d’une jeune fille s’étant évadée d’une communauté gérée par un ancien nazi pédophile – la tristement réelle Colonia Dignidad – dans un Chili trouble. Avec Los hiperboreos, les deux artistes re-transforment l’essai. On les attendait avec un nouveau film d’animation : c’est à un métrage mêlant quelques vrais acteurs et des marionnettes qu’on a affaire. Très bref, il ne s’étale que sur 1h03. Par contre, il creuse le même sillon maudit : il met une présentatrice télé-psy face à l’esprit maléfique d’un nazi chilien qui fut politicien et poète tristement fantasque, et surtout, vécut vraiment.
Le duo Joaquin Cocina et Cristobal Leon paraissent vouloir sonder les plaies à la purulence profonde qui témoignent des liens entre Chili et nazis. Ils poursuivent ici ces fantômes avec un attirail de montage son anxiogène, d’apparitions/disparitions brutales d’éléments de décor, d’emprunts tout à fait conscients à différents courants du cinéma, et donc de marionnettes, pour une bonne part en papier, tantôt découpé tantôt mâché. Au tout début, l’héroïne de cette sombre épopée s’avance dans une sorte de studio, s’adresse aux spectateurs, et affirme qu’elle est psy et qu’elle anime en même temps une émission, dans laquelle elle fait son travail d’analyse. Le dialogue avec les marionnettes commence peu après : on se sent donc convié en une sorte de Muppet Show pas destiné aux enfants. Sent-on un peu de gratuité, au final, devant tous ces effets convoqués ? Non : ils paraissent présents là afin de distordre ce qu’on voit à l’image. On voit passer une foule de motifs qui semblent être des pensées, et qui peuvent brutalement prendre une autre forme. Ainsi, notre héroïne nous parle d’un patient particulier, au début, à savoir une sorte de métalleux qui dialogue avec l’esprit de Miguel Serrano, le nazi chilien longuement évoqué par le scénario. Tout à coup, l’interprète de ce patient devient en un cut un pantin grandeur nature en papier mâché. Tout le métrage semblant représenter l’espace mental de la protagoniste centrale, on se dit assez vite que ces effets de distorsion veulent sans aucun doute traquer la vérité qui se cache dans ces pensées galopantes. La débusquer, en utilisant une foule d’artifice pour la forcer à se rendre.
Le film comporte un récit et un enjeu clairs : l’héroïne doit s’en aller retrouver de vieux négatifs liés à Miguel Serrano. Ce faisant elle traverse une foule de lieux, jusqu’à des grottes secrètes dans l’un des deux pôles, Serrano s’étant persuadé lors de sa vie qu’Hitler existait toujours, réfugié dans des grottes polaires et entouré d’hommes primitifs d’un blanc parfait, les Hyperboréens. Les deux artistes font montre au passage d’une fluidité remarquable pour passer d’un rêve à l’autre, à l’image de cette suite de séquences où une sorte de jeu en ligne est traversé, avec avatar renard blanc à la tête de carton à la clé. Référence à l’Internet complotiste ? Sans aucun doute. Leur réalisation est magistrale. Et la manière dont ils tiennent leur propos aussi. On note d’ailleurs que le passé du Chili lié aux nazis n’est quasi évoqué au final que par eux, au sein du cinéma (les films ne sortant pas en France non compris). Ici, on croise bien entendu les spectres des hommes de Pinochet. Et le métrage nous laisse sur une image très juste et troublante, en appelant à l’immédiat aujourd’hui, après avoir mené son récit infernal bien à terme, sans en avoir perdu le sens malgré les dédales.
Visuel : © Leon & Cocina Films