Valérie Donzelli assagit sa réalisation, mais aiguise génialement son propos quand elle adapte le roman de 2014 L’amour et les forêts de Éric Reinhardt. Virginie Efira et Melvil Poupauld sont impressionnants dans ce film sur la violence faite à une femme.
Quelque part en Normandie, Blanche (Virginie Efira), enseignante de lettres, sort d’une rupture douloureuse et suit sa sœur jumelle (Virginie Efira !) à une soirée. Elle y retrouve un ancien camarade de lycée, qui a perdu beaucoup de poids et la séduit. Il la convainc qu’il est son âme sœur. Et la convainc assez rapidement de partir s’établir avec lui à Metz, où il a été muté. Deux enfants plus tard, Blanche est sous le joug de la surveillance tyrannique et de la terreur que lui fait subir son mari. Tant et si bien qu’elle s’offre quelques heures de fuite dans les bras d’un amant (Bertrand Belin)… L’aventure précipite la folie du mari…
Pour traiter de la maltraitance dans le couple, Valérie Donzelli rompt avec son côté Jacques Tati. Elle qu’on a connue en « reine des pommes » loufoque, qui nous avait bouleversés en filmant un couple face au cancer de son enfant sur le mode de la comédie avec La guerre est déclarée, laisse le comique et le surréalisme de côté (sauf la touche des jumelles !) pour proposer dans cette adaptation marquante une réalisation « classique ». Ici, pas de femme enceinte à 70 ans, comme dans la série Nona et ses filles, point de tribu, d’amis annexes ou d’espace pour une prise de recul dans la narration resserrée d’un ensevelissement. Il y a du Douglas Sirk dans sa manière de filmer un mélodrame qui devient insoutenable. Et la caméra de Donzelli fouille les visages de ses comédiens avec une maîtrise exceptionnelle. Et, pour la première fois, elle reste invisible, derrière la caméra.
En termes de choc, d’impact et de portée du message féministe, le traitement apparemment classique du thème de l’enfermement du couple fonctionne. Pour ce faire, Donzelli transforme avec sa scénariste Audrey Diwan (à qui l’on doit L’évènement), le personnage du roman d’Eric Reinhardt : « Bénédicte Ombredanne » devient « Blanche ». Un nom simple et direct : l’héroïne est pure victime. Et tout commence par un flash-back pudique, mais ferme, chez l’avocate (incarnée par Dominique Reymond).
Dans l’adaptation de Valérie Donzelli, le regard féminin, y compris sur les séductions du mari et la sensualité de l’amant, essore l’ironie. Dans le livre, notre Madame Bovary du temps des applications de rencontre se débattait encore sous l’œil mi narquois – mi tendre, de l’auteur, avec ses références littéraires et ses rêves d’absolu. Comment crier « Madame Bovary, c’est moi » et que ce soit crédible, après #metoo ? Il est probablement plus facile d’être une femme, mais ce n’est pas tout. Le changement de perspective parachève vraisemblablement autrement la profondeur qu’appelait Eric Reinhardt dans son français superbe :
« Rien n’est pire que le dur des surfaces planes, que le tangible des surfaces dures, que l’obstacle des écrans qui se dressent, sauf si des films y sont projetés. Je préfère le profond, ce qui peut se pénétrer, ce en quoi il est envisageable de s’engloutir, de se dissimuler : l’amour et les forêts ». On sort très ébranlé de ce film, qui continue de faire réfléchir bien après la fin de la séance.
L’amour et les forêts, de Valérie Donzelli, avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, Dominique Reymond, Romane Bohringer, Virginie Ledoyen, France, 2023, 105 min, Cannes Premières, Sortie française le 24 mai.
Visuels © Diaphana Distribution.
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