Ce mercredi 22 mai, c’était le jour J. Celui de la soirée organisée par Cult.news en partenariat avec Women For Sea et le Yacht Club de Cannes pour mettre en avant les femmes, la mer et le cinéma. Notre rédactrice en chef, Amélie Blaustein-Niddam, a rejoint la croisette pour l’occasion. Avant de recevoir le public, nous avons néanmoins pu voir pas mal de films.
Et nous n’avons pas commencé par un feelgood movie. À 9h, Un Certain Regard présentait le premier long-métrage de la géniale actrice Ariane Labed. September says est un huis-clos éprouvant d’une mère dépressive et de ses deux jumelles, July et September. Il y a des relents de films d’horreur dans ce thriller psychologiquement intense. L’emprise est là, à tous les étages, avec le portrait de deux jeunes filles qui sont coupées de la vie. L’image est sombre, des choses intéressantes sont dite sur le Royaume-Uni et la gémellité agit comme un maléfice.
Également dans la sélection d’Un certain regard, on plonge dans la trame de cette chronique du Vietnam qui met deux ouvriers de mine amoureux face à leur avenir et à leur passé; autrement dit face à la perspective d’émigrer et à leur famille morte pendant la tristement fameuse guerre. Très lent, le film aurait gagné à moins rendre vaporeuses ses scènes : l’attention et les enjeux se perdent. Reste le spectaculaire passage avec la médium.
Le deuxième film de la journée, à la Quinzaine des Cinéastes cette fois, était tout aussi inquiétant. Gazer est le portrait d’une toute jeune maman séparée de sa fille après un accident qui a causé la mort du père, et incapable de l’élever car elle a une maladie euro-dégénérative. Elle est interdite d’écrans mais regarde les gens vivre et se fait des cassettes pour parvenir à se concentrer. Arielle Mastroianni qui incarne de manière saisissante cette héroïne de thriller a aussi écrit le scénario. L’image et les références sont ancrées dans les années 1980, et l’on pense à Cronenberg. Un cinéma américain indépendant, surprenant et hypnotisant.
On continue de pérégriner au sein d’Un certain regard avec cette chronique énergique de la Somalie, où une famille tente de s’activer. Sa mise en scène fait son effet, et donne à voir un tableau très vivant malgré les faits décrits.
Le nouveau long-métrage d’animation, dirigé par le letton Gints Zilbalodis, se révèle sublime visuellement. Il démarre dans une forêt où les animaux sauvages se trouvent confrontés à une vague déferlante, recouvrant toute la terre autour d’eux. Le périple dans lequel ils s’engagent est l’occasion d’admirer la si subtile alchimie que parvient à produire le film entre comportements, animaux réalistes, protagonistes de fiction à suivre qui doivent donc être attachants et émouvants, et… vraie mise en scène de cinéma, tout simplement.
En compétition, le réalisateur primé à Berlin pour Tabou renoue avec le noir et blanc percutant dont il a le secret. Grand Tour fait le portrait d’un anglais qui fuit de Rangun en 1917, et commence un voyage qui le mène à Singapour, Saïgon, Tokyo, Manille puis, finalement, en Chine. Cela devrait être une grande carte postale. Et pourtant… Avec de la « grande musique » (Le beau Danube Bleu, My Way, Le trouvère de Verdi), l’image refuse d’essentialiser les paysages. Les voix off changent de langue avec le pays et tout le monde se parle… portugais. La couleur fait son apparition sur certaines images et le film étonne jusqu’à devenir comique. 1917, c’est déjà le début de la fin des empires. Un consul constate « Nous partirons d’ici sans rien avoir compris ». Un Grand Tour qui interroge et juge, l’air de rien, la violence aussi absurde qu’organisée de la colonisation.
Dans l’État du Ceará, sur la côte nord-est du Brésil, les individus que l’on rencontre ne sont pas forcément de ceux avec qui on aurait envie de siroter un bon cocktail en regardant la mer. Le jeune et beau Heraldo en sait quelque chose puisqu’il est pourchassé par une bande de tueurs et cherche à leur échapper en se réfugiant au Motel Destino. L’endroit n’est pas très ragoûtant ; il est l’un de ceux où l’on vient pour baiser, pas toujours proprement… Mais dans ce motel à l’abri des regards va se jouer un huis clos étouffant entre Heraldo, Dayana et son mec, Elias. Karim Aïnouz signe là un film de genre et d’ambiance parfaitement réussi, où les couleurs, vives ou glauques, se marient avec le noir de la nuit du Ceará,. Quant au casting (Iago Xavier, Nataly Rocha, Fabio Assunção), il est excellent.
Après un sublime lancement à Chaillot le 5 décembre, nous avions une envie folle de refaire la fête. Alors quand la présidente de l’association militante Women For Sea, Natalie Ille, nous a annoncé qu’elle était partante pour penser un événement avec nous, nous avons plongé sur le port du Yacht-club, tout à la pointe de la Croisette. Nous avons commencé la soirée par une table ronde très sensible et, de façon assez inattendue, très riche en émotions sur la place des femmes en mer. Autour de la table haute posée en extérieur, Amélie a rassemblé la cinéaste Géraldine Danon, la scaphandrière Marion Mauriceau, également fondatrice de la marque «Mon miracle», deux élèves, Louise et Capucine, toutes deux compétitrices sur des bateaux ILCA 4 (ancien Laser Radial), et Nathalie Ille. La discussion intense a révélé l’urgence de dénoncer des comportements sexistes et pré-metoo. L’écoute et la sincérité des témoignages ont fait grimper les larmes sur le port. Ensuite, après une belle heure de discussion et d’échange avec le public et grâce au soutien de Bali Cataraman, nous avons pu offrir à nos convives un magnifique buffet multipliant les bouchées et un open bar marqué par un généreux sex on the beach. C’est à ce moment, que muni.e.s d’une enceinte Bluetooth, les 4 danseur.euse.s du Pôle National de Danse de Cannes ont offert une déambulation nous permettant d’aller sur la terrasse haute du lieu. Leur danse en ancrage bas et profond, riche de portés élégants nous a subjugé.e.s. Le niveau de beauté n’est pas descendu, quand quelques minutes après la fin de la performance, Almée, toute de blanc vêtue, nous a offert trois chansons dont le très cinéma, James Dean. La soirée s’est terminée sur un blind test cinéma très animé, comme le veut la tradition. La nuit s’est finie au Silencio Cannes à refaire le monde. Une soirée, vraiment cult !
Crédits photographiques © Rachel Rudloff