Cannes, hors compétition : « Little Girl Blue », de Mona Achache

Tout commence par l’archive, des kilomètres d’archives. Mona Achache filme les photos accrochées aux murs, les pages des livres, des lettres classées et une malle pleine de carnets…

Enquête sur la mère

« Fille de » Carole Achache et petite fille de Monique Lange, éditrice et auteure chez Gallimard, elle reconduit à sa manière l’enquête sur la génération qui la précède. Mais elle le fait à sa manière, en filmant les pages plutôt qu’en écrivant. Assise calmement, comme un sphinx, elle accueille Marion Cotillard dans cette pièce plein de papiers – mais aussi de bandes son. Elle sort des tiroirs du bureau les habits, les bijoux, le sac et le contenu du sac de sa mère. Une perruque (elle avait les cheveux bouclés), des lentilles brunes (ceux de Marion Cotillard sont bleus) et des lunettes. Marion Cotillard endosse littéralement le rôle de Caroline Achache et à travers les entretiens qu’elle-même a eu avec les proches de sa mère et les textes de romans publiés, elle révèle des secrets enfouis.

Une enfant grandit trop vite

C’est l’histoire d’une enfant fusionnelle avec sa maman qui a grandi trop vite. A la fois exposée au tout Paris littéraire mais souvent traînant là où il ne faut pas et surtout avec les écrivains Juan Goytisolo (son père de substitution un temps) et Jean Genet. Deux hommes gays, très proches de Monique Lange et très influents sur la petite. Passe Mai 68 au printemps des 16 ans de Carole Achache. Sa révolte a un écho national. Sa quête de liberté aussi. Jusqu’à se faire du mal, jusqu’à nier son corps. Vient alors une espèce de rachat dans une vie de femme au foyer et de maman bien rangée qui réapparaitra dans les livres, bien plus tard.

Une trame profonde remonte

C’est avec une véritable ingéniosité de mise en scène et la complicité d’une Marion Cotillard absolument vulnérable que Mona Achache creuse la source du roman familial. Une trame profonde remonte : des femmes, des intellectuelles, un goût pour la vie, des difficultés pour dépasser des injonctions contradictoires. Quelque chose se dit aussi sur l’époque dans laquelle Carole Achache est devenue femme, quelque chose que l’on commence à découvrir ou à redécouvrir : combien, sous ses dehors libérateurs, le « il est interdit d’interdire » appliqué à l’intimité a pu amener à l’abus. Jusqu’à briser des enfants sexualisés. La révolution sexuelle a eu ses zones d’ombre qui se projettent sur le tableau sombre du 20e siècle. Cela noircit bien des pages et des légendes. Quand la répétition du trauma prend le joli visage de Marion Cotillard, la malédiction transgénérationnelle s’arrête peut-être là.