Longuement, Sergueï Loznitsa donne à voir les conséquences de l’invasion russe sur les vies d’Ukrainiens. Avec ses outils à lui, si intelligents.
Un documentaire signé par Sergueï Loznitsa est toujours porteur d’une manière de procéder fine. Et ce qu’il soit constitué d’images d’archives ou de séquences que le réalisateur est allées filmer. Dans L’Invasion, il cadre les conséquences de l’attaque russe sur les vies d’ukrainiens. Avec, on s’en doute bien, pas de plans d’affrontements militaires : notre homme a l’intelligence de rester bien concentré sur son sujet. Tant mieux : les gens qu’il regarde avec son équipe, à une certaine distance tout de même, sont passionnants dans leurs faits et gestes, compliqués par la guerre qui met le pays sous pression.
Nulle emphase, nul alarmisme : L’Invasion est un documentaire qui se passe de voix-off. On rappelle que Sergueï Loznitsa aime de toutes les façons laisser son spectateur trouver son chemin tout seul – ou aller se documenter tout seul, sur de bons sites bien sûr – lorsqu’il met à l’écran des événements dramatiques ou porteurs d’espoir touchant l’Ukraine. La photographie, elle, apparaît assez belle : les images affichent une teinte très nette et claire. Loin de toute esthétisme superflu, ce choix semble devoir permettre à la vie d’être à l’image, sans filtre pour lui donner de fausses teintes plus grises. En conséquence, ce que l’on voit à l’écran apparaît en permanence vrai, bien cadré, irrigué par une vie qui court.
Sans montrer d’acte d’héroïsme, le documentaire s’autorise tout de même au fil de ses 2h23 de filmer les soldats ukrainiens en rang, ou opérant pour se débarrasser d’une mine. Ou des murs avec les visages des militaires disparus à la guerre affichés, parmi lesquels on aperçoit des femmes. On sent, à ces instants, qu’il le fait dans le but de se tenir au plus près du peuple, des gens. Il désire donc ne pas éluder ces aspects. C’est que, de surcroît, il ne submerge pas d’émotion. Ce n’est pas son but. Même du passage marquant où une mère et son mari soldat prodiguent des soins à leur bébé qui vient de naître, tout n’est pas fait pour que les larmes aux yeux montent. La distance prise pour filmer, et la teinte des images qui donne accès à cette réalité avec clarté, donnent plutôt envie d’autre chose : de dialogue. Avec l’équipe ayant réalisé et le cinéaste, ou avec d’autres spectateurs tout simplement. En cela, Sergueï Loznitsa reste fidèle à ce que l’on retirait déjà de ses précédents essais documentaires. On ne peut que lui donner raison : tout le cinéma ne s’attache pas autant à ouvrir des conversations.
Visuel : affiche anglophone de L’Invasion