Très balisé, ce biopic façon farce fait de plus un choix fondamental qui rend certains des éléments de son récit peu crédibles.
Le titre ne ment pas : tout, tout dans cette comédie biopic est centré sur le rapport entre Donald Trump le fils de riche devenu encore plus riche et finalement président américain, et Roy Cohn l’avocat véreux passé expert réputé dans sa discipline. Non pas que ces faits ne soient pas intéressants : c’est juste qu’on ne compte plus le nombre de biopics centrés sur un élève dépassant un maître. Le doué réalisateur iranien installé au Danemark Ali Abbasi dynamite-t-il et pirate-t-il ce concept ? Pas vraiment, il semble… Ou alors on est passé à côté de quelque chose. D’autant plus qu’étant donné que ce choix oriente toute la marche du scénario, on se trouve face, au début, à des choix bizarres. Ainsi le jeune Donald Trump débutant dans les grosses affaires économiques est-il montré comme un looser peu sûr de lui, sorte de naïf maladroit, mais pas bête. « Il me fait pitié » dit Roy Cohn. Oui, le vrai Donald Trump est techniquement un humain, on peut donc montrer qu’il est un humain. Mais en ce début, il apparaît plutôt sympathique. Très sympathique même. Bon. On ne l’a pas connu personnellement, on juge sans savoir exactement, mais une odeur de tromperie sur la marchandise se fait sentir. Cette mise en place ne fait pas crédible. Les scénaristes trichent-ils avec la réalité pour produire une fable métaphorique ? dans un tel cas ce n’est pas très acceptable : le vrai Donald Trump est encore une entité bien vivante, qui n’a peut-être pas fini de diriger la première puissance mondiale… Et puis, côté contenu, leur fable enfonçerait des portes ouvertes…
Roy Cohn est incarné par l’acteur Jeremy Strong. C’est lui qui peut prétendre au Prix d’interprétation masculine. Oui, ses leçons prodiguées au jeune Donnie sont un peu évidentes. Mais autre chose transparaît de lui. Son personnage effectue un vrai parcours tout au long du film. Et pour le coup, le ton de voix très blanc et les yeux fixes qu’il affiche quasi tout du long sont, eux, passionnants : au sein de ce film balisé voulant dénoncer l’humanité pourrie, il l’est lui, cette humanité pourrie. A lui tout seul. Mais dans l’expression, on note la présence du mot « humain ». Il l’est, et très méchamment. Et en fin de compte, les quelques questionnements suintent de lui. Il est l’énigme. Il est la constance dans les affaires véreuses, qui finit par s’user elle-même, et se demander à quoi bon. Est-ce à ce résultat que le film voulait parvenir exactement ? ou a-t-il au final le derrière entre plusieurs chaises, ce long-métrage ? si la deuxième option se révèle juste, Jeremy Strong est la réussite de cette entreprise. Il y a aussi Sebastian Stan, dans la peau de Donald Trump. Sebastian Stan, excellent acteur par ailleurs : ici, on se dit qu’il est peut-être mal choisi. Trop sensible, pas assez vulgaire au sens profond du terme. Il atteint ce stade et même pire en certains passages, telle la scène, choquante, où Trump viole Ivana.
A part ça que dire ? The Apprentice est un biopic comique semblable à bien des biopics comiques. La mise en scène et le choix de la photo n’inventent rien, le rythme est électrique ce qu’il faut mais guère plus. Un pur film satirique d’assez gros studios, en somme, qui surtout fouille bien peu les sujets qu’il décrit : toutes les illégalités commises par Trump avec l’argent sont fort peu détaillées. Le long-métrage crie que ce n’est pas juste, sans montrer et partant faire ressentir à quel point c’est injuste. On demanderait bien une chose au jury chargé de décerner la Palme d’or cette année : ne faites pas comme il y a pile vingt ans, un prix ultime à un film voulant empêcher une réélection, dans le but d’aider à empêcher ladite réélection. But noble, prix peut-être pas totalement destiné à cet usage. Mais bon, vingt ans plus tard, on se dit que la Palme a parfois distingué des longs-métrages mineurs. Et puis tous les plus grands prix ayant souvent des coulisses globales pas si reluisantes, côté moralité et comportements (avec agressions dévoilées et scandales à la clé), demander ça au jury reste de toutes façons un peu vain…
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Visuel : (c) Scythia Films