Dans le cadre du Festival Diasporama, mettant en avant des productions cinématographiques juives, Cult a eu l’opportunité de visionner le documentaire Call me a Dancer, réalisé par Pip Gilmour et Leslie Shampaine. Retraçant le parcours de Manish Chauhan, danseur indien issu d’un bidonville de Mumbai, le film entame une réflexion sur le pouvoir émancipateur de la danse, à une échelle intime comme collective.
Le documentaire s’ouvre sur le visage de Manish Chauhan, la vingtaine, danseur depuis l’âge de 18 ans. Il visionne alors un film de Bollywood, et tombe amoureux de la danse, de ce genre d’amour qui efface tout ce qui préexiste, de sorte que son existence ne semble véritablement commencer qu’à ce moment-là. N’ayant pas les fonds pour se payer des cours, il se forme tout seul ; les sauts et les ondulations du corps rythment désormais toutes ses journées et envahissent ses pensées.
Rien, pourtant, ne déterminait le jeune homme à devenir danseur, lui qui a grandi dans les bidonvilles de Mumbai, où la danse n’a jamais été considérée comme une source possible de revenus. Manish devait avoir un métier stable, un salaire régulier, une femme et des enfants. Mais sa passion prend le dessus. Bientôt, il sèche les cours à la fac pour intégrer l’école de danse Danceworx, où ses talents d’acrobate lui permettent d’obtenir une bourse et de payer les leçons. Il découvre le ballet : désormais, on l’appellera « danseur ».
C’est cette rencontre avec la danse classique qui constitue le cœur de la trajectoire de Manish Chahan. Elle l’ouvre d’abord à une nouvelle manière de considérer son corps, centrée sur la discipline et l’acharnement. Mais la découverte de la danse classique est surtout pour lui l’occasion de rencontrer Yehuda Maor, ancien membre de la compagnie Bat Dor, reconverti en professeur de danse à Mumbai et devenu figure centrale de l’existence de Manish, un père de substitution dans ce nouveau refuge que constitue la danse.
La relation fusionnelle entre les deux danseurs constitue le cœur du documentaire qui, plus que le simple parcours d’un danseur, engage une réflexion fructueuse sur la paternité et la famille, à l’image du film Billy Elliot. Manish, rejeté par son père, s’accroche en effet à ses ambitions, grâce à la passion que lui transmet Yehuda. Et le professeur, à première vue sincèrement antipathique, se découvre en présence de Manish une part de sensibilité touchante. Une leçon sur la manière dont des repères peuvent et doivent se créer en dehors des liens de sang, pour sortir des représentations figées que l’on projette sur nous, trouver des structures de soutien et envisager une véritable émancipation personnelle.
« I find myself here more fitting than in the ballet world. They don’t see the color of the skin. […] We say we are dancers. We are one. ». Le parcours de Manish le mène finalement vers la danse contemporaine, qui offre une plus grande liberté de mouvements et accueille des profils plus diversifiés que dans le monde du ballet, inaccessible à ce danseur tardif. Une vision qui pourrait donner à voir une danse contemporaine comme antichambre de la danse classique, comme une discipline moins prestigieuse, le refuge des danseurs déchus par le ballet. Mais le documentaire brise ces hiérarchies, en présentant la danse contemporaine pour ce qu’elle a de plus essentiel : un véritable lieu d’expérimentation, de révolution des corps et des mouvements, ouverte à tous, peu importe les formations. Bref, un espace des possibles. C’est là la véritable leçon de Call me a dancer : l’acrobatie et la danse classique peuvent se mêler dans un corps, comme l’incarne Manish, précisément parce que la beauté n’a pas de règles.
Le documentaire Call me dancer sera présenté dans le cadre du Festival Diasporama le 29 janvier à 20h au cinéma Elysées Lincoln, dans le 8e arrondissement de Paris.
Visuel : © affiche