Bushman frappe le spectateur par sa violence et par sa douceur. Projeté au festival de Bologne et au Festival Lumière 2023, le film a fait sensation. À voir absolument.
Le réalisateur, David Schickele, a enseigné quelque temps au Nigéria, où il s’est lié d’amitié avec l’un de ses élèves, Paul Eyam Nzie Okpokam. Comme dans une fable de La Fontaine, c’est le jeune Nigérian qui s’installe à présent à San Francisco, pour tourner dans le film de son ami américain. Nous sommes en 1968, Martin Luther King vient d’être assassiné. La guerre du Biafra entraîne la famine.
Lorsque Gabriel (le rôle incarné par Paul Eyam Nzie Okpokam) arrive à San Francisco, il est littéralement l’objet des regards et des convoitises. On lui demande de dire quelques mots de dialecte africain, de danser. Qui ? Les quidams, mais aussi les Noirs américains, à qui il apparaît également assez étranger. Les hippies, qui disent l’accueillir à bras ouverts, en frère, mais le traitent avec un réel sens de l’inégalité. De tout cela, Gabriel n’est pas dupe. Affûté, sûr de lui, il tient tête et répond avec humour, décalant toujours d’un cran la place où on veut l’assigner.
Serait-il un bel animal sauvage ? Un amant incomparable ? Un être de la nature ? À tous ces clichés, il réplique avec panache, ou avec lassitude, selon la situation et son degré de déception. Les femmes, mais aussi les hommes, voient en lui une source de sensualité plus qu’un individu avec qui échanger pour de vrai. Parfois, les choses sont plus nuancées et une véritable relation commence à s’établir, avec une jeune femme blanche en particulier. Observant des affiches de Noirs américains ayant réussi dans le spectacle, Gabriel remarque : « Je n’arrivais pas à m’y faire, à tous ces Noirs sur le mur qui ont tout de blanc en eux, à part leur couleur de peau. »
D’une rencontre à une autre, Gabriel s’étonne avec tristesse, et se demande combien de temps il pourra retenir sa colère. Soudain, par moments, tout s’apaise et, face caméra, Gabriel nous parle de son pays, le Nigéria, de la temporalité qui l’imprègne. Le pays perdu lui manque, mais il nous parle aussi de la guerre civile, de la misère, qui l’ont poussé à venir ici, à San Francisco, vivre sa vie depuis trois mois. L’urgence, la vitalité se ressentent. Gabriel compare, s’étonne, exprime sa tristesse, mais aussi sa joie, qu’il va jusqu’à graver sur le mur des toilettes : « Aimer le monde m’aide à vivre. »
Sans dévoiler le tournant du film, indiquons seulement que la fiction rattrape la réalité, plus rapidement que le scénario ne l’avait prévu. David Schickele n’abandonne ni son ami ni son film et resserre, pour nous, les images, les témoignages des dernières heures de normalité. Le réalisateur termine son film pour en faire une arme contre le racisme. En 2024, ce message est tout aussi nécessaire qu’en 1971.
Bushman de David Schickele, États-Unis, inédit, 1971, 73 minutes, avec Paul Eyam Nzie Okpokam, Elaine Featherstone, Jack Nance, Lothario Lotho. Distribué par Malavida. Sortie le 24 avril.
visuel : (c) Malavida Films