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Bonello adapte avec malice « La Bête dans la jungle » de Henry James

par Julia Wahl
06.02.2024

Après Patric Chiha et sa Bête dans la jungle, c’est à Bonello d’adapter la nouvelle éponyme de Henry James. Un film qui montre que le texte de l’écrivain américain n’a pas fini de nous parler.

Une appropriation malicieuse de la nouvelle de James

 

De la nouvelle de Henry James, on connaît le point de départ : John Marcher, un jeune homme timide, est persuadé qu’un événement tragique, bien que confus, l’attend. On connaît somme toute bien moins son point d’arrivée : la fascination qu’exerce ce récit repose en grande partie sur son caractère énigmatique, jamais résolu.

 

Si, comme l’avait fait Patric Chiha, Bertrand Bonello adapte librement la nouvelle, c’est moins pour la transposer à notre époque que pour jouer précisément de la question temporelle. Son film nous fait ainsi voyage à trois époques différentes – le début du XXe siècle, l’époque contemporaine et 2044 – avec comme cicérone les sentiments d’une certaine Gabrielle : ensevelie dans un sarcophage digital, la jeune femme doit, pour trouver un travail, se laver de ses émotions et, ainsi, se glisser dans ses « vies antérieures » pour purifier son ADN et devenir un être impavide, digne de l’ataraxie stoïcienne. Le jeu avec la transposition temporelle devient donc le sujet du film et n’est plus une simple technique narrative. Autre appropriation de la nouvelle par Bonello : c’est désormais une femme – cette mystérieuse Gabrielle – le centre de l’histoire, elle qui ressent cette crainte diffuse et elle qui traverse tout le film.

 

Une mise en abyme subtile du cinéma

 

Ainsi résumé, La Bête semble adapter la nouvelle fantastique de James en film de science-fiction. Si l’on retrouve bien le caractère dystopique – la guerre aux sentiments – et le thème technologique – le sarcophage digital – propres aux récits et films de SF, leur traitement permet au travail de Bonello de déborder le cadre du film de genre. En effet, assez rapidement, ce qui retient l’attention est moins l’histoire elle-même – que, comme chez James, on comprend mal – que ces sauts dans le temps et l’évolution du personnage de Gabrielle. Tour à tour élégante de la Belle Époque ou starlette harcelée par un incel – George MacKay – Léa Seydoux prête avec justesse ses traits à ce personnage représentatif de chaque époque.

 

Si le jeu avec chronologie permet à Bonello d’aborder à première vue d’importants sujets de société – les incels et le sexisme aujourd’hui, la fameuse (et très théorique) « Singularité » demain -, son propos n’est à ce sujet ni d’une grande originalité ni d’un grand intérêt. L’intérêt du film est ailleurs : il réside dans le jeu avec les genres et les archétypes, dans la façon dont le film aborde le film. Mise en abyme subtile du cinéma tout entier, La Bête interroge le pouvoir des images et des histoires.

La Bête, Bertrand Bonello. Sortie le 7 février 2024.

 

Visuel : © Carole Bethuel / Ad vitam