Grâce à Woody Allen, l’humour juif est de New York. Grâce à Hassan Guerrar, l’humour algérien est désormais de Barbès. En compétition au Festival du film francophone à Angoulême, cette comédie avec Sofiane Zermani, éclatant dans son premier « premier rôle » est l’une des pépites du FFA passée sous le radar des jurys.
Tout juste installé dans le cosy Montmartre, Malek (Sofiane Zermani), un quadra entrepreneur, croit avoir tourné la page d’une histoire douloureuse pour préférer construire sa légende personnelle. L’histoire l’amène à Barbès qui jouxte le quartier bobo. Il y découvre les figures locales d’une communauté algérienne qui va le reconnecter avec une part de lui-même.
Les locataires du secteur que l’on découvre à travers leur humour typé sont filmés avec une intention réaliste. Des mises en situation et des attitudes familières nous promènent à travers quelques tableaux « barbésiens ». La clique de la Goutte-d’Or – Khalil Gharbia, Adila Bendimerad, Nedjim Bouizzoul, et Tariq Bettahar – est plus vraie que nature. Le casting est magnifié avec un Sofiane Zermani naturellement charismatique qui donne la réplique à Eye Haïdara en pilier de sagesse et à Clotilde Courau en bénévole autoritaire.
Au centre du village, l’église Saint-Bernard de la Chapelle est un sanctuaire immuable. C’est celle qui s’est illustrée en 1996 dans le mouvement des étrangers en situation irrégulière soutenue par des célébrités dont Emmanuelle Béart. D’autres prises de vue nous offre une visite privilégiée d’un Barbès calme mais qui reste animé malgré le confinement, période à laquelle le film a été tourné.
Pour restituer cette photo de famille, Hassan Gerrar a prélevé par touche, différents aspects de cette enclave en plein Paris, terre d’asile du 18e arrondissement. Il a instinctivement saisi l’un des ressorts de sa population : l’autodérision comme humour d’autodéfense et de reconstruction. C’est dans cette forme de résilience que se développent les relations, qu’elles soient solidaires ou dans la confrontation.
Les occupants de ce quartier mythique semblent arrivés là par dépit avant d’y adhérer par consentement affirmé, un peu comme on avance lentement vers l’autel du mariage, entre résolution et besoin d’appartenance. Chacun posant comme des cailloux, quelques signes distinctifs pour ne pas perdre le chemin de l’histoire filiale. Comme la boutiquière qui vend des masques anti-covid en wax, ou le bar du coin qui reproduit la chorba de djedda (grand-mère) à l’heure du ramadan.
Avec un vocabulaire de pseudos outrageusement équivoques, des expressions dénaturées et des raccourcis qui défient le sophisme, une philosophie à toute épreuve est à l’œuvre comme un manuel de survie. Les représentations stéréotypées conformes aux préjugés prouvent bien qu’une culture identifiable s’est développée dans cet écosystème.
Ce melting-pot a produit une subculture endémique à Barbès, très incarnée dans le film par une communauté algérienne, mais pas seulement. On y retrouve des arrivants d’autres continents avec des méthodes d’intégration différentes : le travail, la débrouille, l’illégalité. Mais avec toujours en objet commun ce réflexe d’humour naïf, comme une force consolatrice à l’exil, et aussi comme une carapace impénétrable.
Certes, le film évolue progressivement vers le drame sans creuser les personnages qui restent en surface. Et c’est précisément là que la forme rejoint le fond. Dans ce premier long métrage, Hassan Guerrar dépeint les paradoxes de ce quartier entre solidarité multiculturelle et fatalité banale, mais où l’intime reste enfoui. Réalisé avec neutralité sans surjouer de bande musicale folklore ou de misérabilisme (merci deux fois), le film existe par lui-même. Si la production n’a pas remporté de prix, le public lui a offert un accueil plus qu’enthousiaste qui prolongeait chaque séance avec l’équipe du tournage venue le présenter.
Sortie prévue le 15 octobre 2024.
Crédit photo © East Films