En cette année 2024, les films qui peuvent remporter l’Atlas d’or à l’issue du Festival d’Arras convainquent, encore une fois. Celles et ceux qui les signent viennent en tout cas aider le public à penser une part de l’Europe actuelle.
Le Festival du Film européen d’Arras offre, en cette édition 2024, plusieurs longs-métrages concourant pour l’Atlas d’or pouvant venir aider à ressentir un peu, et penser, des plaies actuelles. Des déchirures qui frappent l’Europe, l’Union européenne, ou encore l’idée de cette dernière, avec un bruit plus ou moins fort. C’est le cas d’Honeymoon, de la réalisatrice ukrainienne Zhanna Ozirna, qui donne à voir les instants de vie d’un jeune couple dans son tout nouvel appartement de Kyiv, rendus fous tout à coup par l’invasion russe de 2022. Un huis-clos qui fait les bons choix, a-t-on envie de dire, tant il ausculte de manière juste un réel terrible. Au fil de séquences concentrées, réfléchies avec urgence. Un film dont on encourage d’ailleurs la sortie dans les salles françaises, pas encore prévue, tant il vaut mieux le voir que lire des lignes sur lui. Ces dernières prenant le risque de l’enfermer dans l’abstraction, lui et le sujet dont il veut parler.
Présente dans la salle à l’issue de la projection, sa réalisatrice Zhanna Ozirna explique qu’il s’agit là d’un long-métrage fait en partie « pour exprimer aux pays occidentaux notre besoin à nous d’avoir des armes, en une telle situation » : très proche de ses lectures philosophiques, auxquelles elle se livrait en tant qu’artiste, elle affirme à présent connaître ce que concrètement ce conflit vient imposer à son pays. Les assaillants russes, au sein de son long-métrage, ne sont pas visibles à l’image, d’autre part : on les entend, on les redoute. Encore une fois, rien d’abstrait ici : « il y a du mal dans l’air », poursuit Zhanna Ozirna. En tant que spectateur, ce ressenti est perceptible. Ce point permet néanmoins à la cinéaste d’évoquer ses doutes aussi : « on est au milieu de la tempête, là, on ne sait donc pas comment tout filmer exactement, et on pourrait nous accuser, nous Ukrainiens, de nous livrer à de la manipulation, si à travers un film nous suggérerions de l’empathie pour des russes ». Le producteur Dmytro Sukhanov, à ses côtés, explique en complément que le documentaire est la forme qui prédomine à présent en ce moment au sein du cinéma ukrainien : cent vingt fictions étaient en moyenne produites par an, or cette année Honeymoon a été à ce qu’il lui semble la seule. Dans le contexte actuel, « d’un jour sur l’autre un membre de l’équipe peut avoir été mobilisé, et il est dangereux de diriger une actrice ou un acteur en pleine rue ».
Au sein de la Compétition, on se trouve face, avec Marco, l’Enigme d’une vie, à un bon récit peignant le portrait d’un imposteur réel : l’espagnol Enric Marco, mort en 2022, et s’étant présenté comme survivant du camp de concentration de Flossenbürg avec grand retentissement médiatique, jusqu’à sa chute en 2005. Un tableau pas mal pensé qui renvoie à des événements terribles, toujours à méditer. A ses côtés dans la Compétition, The hunt for Meral Ö parvient, malgré ses quelques défauts, à donner à voir de manière juste les soupçons devenus fous d’une administration traquant la fraude vis-à-vis d’une bonne part de sa population immigrée : se déroulant aux Pays-Bas, il met une mère célibataire travaillant avec vaillance – incarnée avec intensité par Dilan Yurdakul – face à des services d’aide sociale lui réclamant des sommes, et l’écrasant. Une peinture engagée traitant avec justesse un de ses thèmes de fond, la méfiance vis-à-vis de l’étranger, ici rampante et glaçante.
L’Arras Film Festival se poursuit jusqu’au 17 novembre. Infos et réservations : Arras Film Festival
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Visuel : Zhanna Ozirna, Dmytro Sukhanov et la traductrice transmettant leurs propos après Honeymoon © Geoffrey Nabavian