En cette année 2023, les films qui peuvent gagner l’Atlas d’or à l’issue du Festival d’Arras sont tous de très bonne tenue. Et s’ils évoquent des plaies d’hier, ils mettent aussi en scène des individualités d’aujourd’hui (et de demain ?).
Le Festival du Film européen d’Arras rassemble, en cette édition 2023, des longs-métrages concourant pour l’Atlas d’or qu’on peut applaudir. La plus grande part d’entre eux font montre d’une très bonne tenue dans leur scénario, enveloppée dans un point de vue prenant. Et côté thèmes, on pourrait dire qu’ils s’attachent à peindre des pays d’Europe en lutte sociale, hier comme aujourd’hui.
Cependant, ils dépassent cet aspect pour se positionner sur un autre créneau. Une large part d’entre eux paraît ainsi mettre en jeu surtout la question de l’individualité, au sein de ces pays. Pas l’idée d’individualité d’un État d’Europe prise vis-à-vis des autres, non : une individualité d’habitant ou d’habitante. Ce dernier ou cette dernière étant du même coup cadré(e) dans toute son humanité, face au pays où il/elle réside. Et surtout dans toutes ses contradictions, ces dernières pouvant le/la mener loin, en mal comme en bien. Pour bien traiter un tel postulat, la finesse doit bien évidemment rester de mise, du côté des artistes qui dirigent les films.
À ce titre au final, cette sélection rassemble plusieurs tentatives qui atteignent parfaitement leur but, et restent complexes, mesurées et fines. Avec certaines qui prennent place dans l’Histoire, mais pour parfois mieux évoquer aujourd’hui. Si Libertate, nouveau film du roumain Tudor Giurgiu, mise plutôt sur le choral lui pour montrer les forces de sécurité les unes contre les autres pendant la révolution contre Ceausescu de 1989 – avec une mise en scène et une direction artistique qui convainquent, et immergent plutôt bien dans cette tension – Let the river flow se centre lui sur un protagoniste unique. Il suit une jeune femme Sami, dans la Norvège de 1979. Le but du scénario étant ici de montrer comment les descendants de ce peuple autochtone résistèrent alors (et ce faisant de les évoquer pour les temps d’aujourd’hui). À l’écran, la jeune protagoniste qui tente de se fondre comme tant d’autres dans le moule de la société du pays où elle habite voit ceux qui ont la même origine qu’elle être méprisés lorsqu’ils affichent leurs traditions. Elle s’éveille donc progressivement. L’interprétation toute douce et pourtant forte d’Ella Marie Haetta Isaksen amène à suivre passionnément ce parcours. Au même titre que celle de ceux qui l’entourent, dont le remarquable Gard Emil, superbe en roc qui essaye de rester sans failles. Et surtout, ce long-métrage accorde tout le temps qu’il faut à l’essence de ces coutumes menacées. Elles apparaissent palpite souterrainement, à l’image. On souhaite pour ces raisons une sortie en France à ce film dirigé par Ole Giaever.
On croise aussi deux très bonnes illustrations très en prise avec un réel corrompu. Qui amènent toutes deux leur héroïne à faire des choix difficiles. Mais en laissant encore une fois à ces protagonistes la latitude pour montrer leurs failles, leur pensée et leur âme. Dans Hesitation wound tout d’abord – produit notamment par Arizona Films – une avocate compose comme elle peut avec le réel d’une ville rurale de Turquie, où la puissance est à un seul. Elle a un client accusé de meurtre, et des circonstances complexes à démêler. Ce faisant, on aime que ce long-métrage, malgré sa durée assez brève, traite avec finesse et intelligence les différents ingrédients de son scénario, définissant ses quelques personnages centraux. Car il les emploie au final surtout à faire donner à comprendre le parcours de son héroïne, non pas en lutte contre son pays mais plutôt à la croisée des chemins, composant avec lui comme avec la vie. Un beau travail pour lequel celui qui dirige ici, Selman Nacar, peut être applaudi.
Une force similaire irrigue Blaga’s Lessons, nouveau film du bulgare Stephan Komandarev, qui s’avère remarquable. Une professeure de 70 ans se trouve être victime d’une arnaque dans laquelle elle perd les 15 000 euros destinés à la tombe de son mari tout juste décédé. Elle qui rêve qu’il parte dans l’au-delà en paix va s’enfoncer loin dans une direction peu évidente, au sein de son pays où l’argent facile est visé par beaucoup. La mise en scène de ce portrait s’avère superbe au final tant elle sait faire coexister les émotions fortes avec un réel gris et sans pitié, jamais appuyé pourtant. Et ce drame très social et très réaliste où tout prend aux tripes devient sans crier gare une sorte de thriller. Sans jamais devenir facile. Un film qu’on veut voir sortir en France, au même titre qu’Hesitation wound. Afin que le destin de ces deux héroïnes en frappe d’autres, conduit par deux excellentes actrices, Tülin Özen d’une part et Eli Skorcheva d’autre part.
Enfin, on est heureux de se confronter à quelques films qui donnent à rencontrer en profondeur des individualités plus inattendues. Dans un cas, le fantastique est convoqué. Holly, le nouveau film de la belge Fien Troch, donne à suivre une lycéenne qui paraît dotée d’un étrange pouvoir : celui de supprimer la tristesse des gens. Si son scénario piétine un peu, du fait d’un aspect quelque peu décousu, le récit parvient à laisser son mystère exister, pour le meilleur.
Surtout, c’est du côté de la Lituanie qu’une histoire amoureuse inattendue démarre. Dans Slow, une danseuse rencontre un interprète en langue des signes, qui lui plaît beaucoup. Un peu plus tard, il lui avoue être asexuel. Le long-métrage traite les particularités qui en résultent, au sein de cette relation, avec beaucoup de finesse. Enregistrés au fil d’images au grain apparent, pour une proximité toute directe sans doute, les faits et gestes, et hésitations, de ces deux protagonistes passionnent. C’est qu’en lieu et place d’effets superflus, le film s’en remet à ses deux interprètes centraux. Et paraît les enjoindre à se dévoiler autant que les personnages qu’ils incarnent. Ces deux acteur et actrice, Kestutis Cicenas et Greta Grineviciute, reste longtemps en tête. Et irriguent de multiples saveur ce mélange simple en apparence dirigé par Marija Kavtaradze. Dont on attend de pied ferme la sortie en France. Et souhaiter au final qu’autant de tentatives projetées pendant l’Arras Film Festival en compétition pour l’Atlas d’or parviennent largement à des spectateurs reste la meilleure preuve du fait qu’elles restent porteuses de regards précieux, qu’ils soient européens, universels ou abstraits.
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Visuel (c) jip film & verleih gbr