Retour sur la troisième et dernière journée de notre envoyée spéciale Camille Griner au Arras Film Festival, où elle a découvert deux films en Compétition Européenne : Solitary et Made in EU.
Le soleil a décidé de pointer timidement son nez en ce samedi matin. Cela n’a ceci dit pas empêché les spectateurs d’être au rendez-vous pour la séance de Solitary réalisé par Eamonn Murphy. Présenté en première internationale au Arras Film Festival, le premier long métrage du réalisateur irlandais a par ailleurs été auréolé du Prix du Meilleur Film Indépendant au Festival de Galway en juillet dernier. Avec un budget mini de 70 000 euros, l’autoproduit Solitary plonge le spectateur dans la lente descente aux enfers de Brendan (Gerry Herbert, épatant), fermier veuf qui mène une vie paisible en bordure d’un village rural irlandais. Mais quand son domicile est cambriolé, il se retrouve peu à peu gangrené par la crainte et l’insécurité. Taiseux et solitaire, l’homme âgé entame dès lors un combat interne pour préserver son indépendance quoiqu’il en coûte. Privilégiant les plans fixes et les silences, Eamonn Murphy choisit l’épure pour sa mise en scène et ses dialogues pour mieux capter les émotions de son héros progressivement consumé par son hypervigilance, notamment dans des séquences nocturnes à la tension rondement menée. Questionnant la solitude de nos aînés et leur volonté sans faille d’autonomie, Solitary filme par ailleurs avec beaucoup de finesse le manque de communication et les stigmates du temps qui passe. Un premier long métrage à la simplicité désarmante qui émeut malgré son économie de moyens.
Avant de reprendre le train direction Paris, il est temps de savourer la dernière séance de cette édition avec la première française de Made in EU de Stephan Komandarev, également en Compétition Européenne. Le cinéaste bulgare est un habitué des lieux, puisque ses films Rounds (2019) et Blaga’s Lessons (2023) étaient déjà en compétition au Arras Film Festival lors des éditions précédentes. Dans son dernier né, Stephan Komandarev dresse le portrait d’Iva (Gergana Pletnyova, impressionnante), 43 ans, ouvrière du textile qui devient la cible d’une violente chasse aux sorcières après avoir été accusée d’être le premier cas de COVID-19 dans sa petite ville. Classique dans sa forme, Made in EU n’en reste pas moins diablement efficace. Le cinéaste manie l’art de la tension avec une maîtrise certaine, et livre un drame social aussi glaçant que captivant sur le harcèlement et ses rouages, les injustices du capitalisme et les dérives entrainées par la surpuissance des réseaux sociaux et des médias. Tandis que les pressions se multiplient et s’intensifient sur son personnage central, Stephan Komandarev rappelle que la bonne volonté et la bienséance sont devenues des qualités rares dans notre société contemporaine, où l’irrationalité n’a pour sa part jamais cessé de croître. De quoi bien ruminer durant le trajet du retour jusqu’à la capitale, en attendant le cru 2026 du toujours riche et passionnant Arras Film Festival.

Made in EU © D. R.
Visuel : Solitary © D. R.