Des secrets, des mensonges, et des personnages qui se battent pour exister hors des routes toutes tracées : voici les thèmes abordés par les films du samedi 4 novembre au Arras film festival.
Les routes toutes tracées sont d’abord celles femmes, qui se doivent de veiller à leur réputation au Soudan comme au Kosovo.
Notre Monde, de la réalisatrice franco-kosovare Luana Bajrami, nous embarque ainsi dans la voiture de Zoé (Elsa Mala) et Volta (Albina Krasniqi), deux jeunes femmes déterminées à monter à Pristina pour réussir leurs vies. Là-bas les attendent la fac, le rêve de devenir interprète et, surtout des camarades d’hémicycle. Déception : les universités sont les laissées-pour-compte des finances publiques et les cours prévus sont déprogrammés les uns après les autres, faute d’enseignant.es. Aussi leur découverte de la capitale est-elle celle de cet ennui qui s’insinue et transforme leur vie en errance immobile.
Luana Bajrami propose deux personnages qui, tout en trainant sempiternellement leurs désillusions, parviennent à trouver leur voie et à s’émanciper, chacune à leur façon, des injonctions sociales et familiales. Les deux comédiennes principales incarnent leur personnage avec justesse, notamment Albina Krasniqi, dont le visage est régulièrement filmé en plans rapprochés. Le film vaut donc en grande partie pour la construction de ces personnages et des relations qui les relient entre eux.
Côté polonais, c’est le personnage de Marysia, jeune mère célibataire, que nous fait suivre Backwards, du réalisateur Jacek Lusinski. La jeune femme, qui s’est retrouvée enceinte inopinément, n’a accepté de garder son bébé que pour faire plaisir à sa sœur stérile. Mais cette dernière meurt brutalement et Marysia se retrouve contrainte d’élever seule son enfant, qui, comble de malchance, se révèle autiste. Le film suit alors, sur plusieurs années, le combat de cette mère pour faire inscrire son enfant dans une école accueillant des enfants, porteurs, ou non, de handicap.
Loin de tout pathos, Backwards nous montre une mère déterminée, qui sait se battre – physiquement – quand c’est nécessaire et partage avec son fils des moments de colère et de joie qui ne sont jamais filmés de façon mièvre.
Good bye Julia, de Mohamed Kordofani, nous raconte également une double émancipation féminine ; celle de Julia, jeune mère originaire du Sud du Soudan (le film se passe juste avant la séparation), et Mona, qui vient de l’ouest. A première vue, tout les oppose : la religion – Julia est chrétienne, Mona musulmane -, leur fortune – Julia est pauvre, Mona est riche. Pourtant, Mona va nouer avec Julia une étroite amitié après l’avoir engagée comme domestique pour laver un crime dont elle se sent responsable : son mari a tué celui de Julia en pensant préserver l’honneur de sa femme. Bien entendu, elle ne souffle mot à sa nouvelle amie de la cause de son intérêt soudain pour elle.
Il s’avère rapidement que le mensonge est au cœur du fonctionnement de Mona. Mariée à un homme possessif, le secret est pour elle une condition de sa survie. Plus qu’un film sur la condition féminine, Good bye Julia devient rapidement une réflexion en images sur le mensonge et la vérité, avec cette très belle scène d’aveu filmée en un lent travelling avant qui fait entrer le spectateur dans l’intimité des personnages. Le jeu de Eiman Yousif (Mona) et Siran Riak (Julia), toutes en retenue, participe de la réussite du film.
Des mensonges également dans la bouche de Georgie, 12 ans. Élevée seule par sa mère, elle déclare à tou.tes – école, voisin.es, services sociaux – , quand cette dernière vient à mourir, que c’est désormais son oncle qui s’occupe d’elle. Là voilà ainsi libre de mener sa vie comme elle l’entend, jusqu’au jour où débarque un homme qui prétend être ce père qui l’a abandonnée à la naissance. Voudrait-il se débarrasser d’elle ?
Sur une trame somme toute assez ordinaire, Scrapper donne vie aux mensonges de cette préadolescente solitaire. Si elle ment, elle rêve aussi beaucoup : il s’agit sans doute pour elle d’échapper ainsi à un quotidien un peu trop gris autant que de tenir à distance les adultes. La cinéaste Charlotte Regan rend alors justice à ce désir d’imagination en faisant apparaitre des couleurs pop qui participent d’une déréalisation volontaire de ce film social.
C’est d’un secret d’État qu’il s’agit dans Les Gardiens de la formule, de Dragan Bjelogrlic. En 1958, des scientifiques yougoslaves sont conduit.es en France après avoir été surexposé.es à des radiations nucléaires. Comment les ont-iels attrapées, se demande le Professeur Mathé, chargé de les soigner. Ne travailleraient-iels pas sur un modèle de bombe atomique ? Difficile à savoir : les différents personnages mentent constamment pour assurer leur réussite ou celle de leurs idéaux.
Les spectateurs et spectatrices sont mené.es dans la levée progressive des mystères grâce à la construction du film, en grande partie fondée sur des flashbacks réguliers, qui ne dévoilent qu’à petites doses les causes de la contamination. A ces jeux avec la chronologie répond l’impassibilité des personnages, notamment celui de Mathé, incarné par un Alexis Manenti tout en distance, qui n’esquisse que très rarement un léger sourire : la survie de ses patients et la sauvegarde des secrets d’État sont à ce prix.
Visuel : affiche de Notre Monde (détail)