Accréditée presse lors du procès Pelicot, la philosophe Manon Garcia regroupe dans un essai clair et stimulant toutes les questions portées par le procès de Mazan.
Le livre s’ouvre à juste titre par une citation de Marguerite Duras que l’on a apprise à connaître, reprise par Marie Darrieussecq pour le titre d’un de ses romans : « Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela, ce n’est pas possible, on ne peut pas les supporter. » Car les doutes et les questions des rapports hommes/femmes sont vertigineuses, à l’issue du procès de Mazan. Pour celle qui a écrit des ouvrages de référence sur le consentement (La Conversation des sexes) et la soumission (On ne naît pas soumise, on le devient), toutes les questions philosophiques traitées par Manon Garcia se retrouvent au cœur du procès.
« Ce qui fait du procès des viols de Mazan un grand procès au sens historique, c’est paradoxalement qu’il met un terme à l’espoir exclusif placé dans le judiciaire. C’est le procès qui montre que les procès ne suffiront jamais. » Vivre avec les hommes sera en effet traversé de doutes constants, et plus centré sur les questionnements que sur de réelles réponses à apporter. À la lecture du livre, on sent à quel point Manon Garcia est dévastée par ce qu’elle entend (certaines plaidoiries d’avocat, les mots des accusés…) et ce qu’elle voit (les fameuses vidéos filmées par Dominique Pelicot).
Et si l’on pouvait craindre un essai moins fort que ces précédents, un essai qui aurait été écrit sous le coup d’une émotion prenant le pas sur la réflexion, Vivre avec les hommes se révèle intelligent et pertinent. Manon Garcia l’écrit elle-même : « A la différence des livres strictement philosophiques que j’ai écrits ces dernières années, je m’autorise ici une forme plus libre, parfois plus personnelle. Je ne crois pas que cela compromette l’objectivité de mes analyses, au contraire : c’est en rendant compte, aussi, de l’expérience subjective d’un procès comme celui-ci que l’on peut comprendre pleinement ce que cela fait d’être un être humain et particulièrement une femme, dans le monde que le procès met au jour. »
Le livre est organisé par réflexions. On trouvera donc les chapitres suivants : « Inceste », « Soumettre une femme insoumise », « Écrire Mazan », « Le normal et le pathologique »… S’appuyant sur la philosophie (Hannah Arendt, Michel Foucault, Georges Canguilhem…) et sur des écrits féministes (Iris Brey, Carole Pateman) , voire la littérature (Neige Sinno), Manon Garcia cite également des statistiques et des textes de lois. En ressort une richesse de la réflexion traitant ainsi de la correctionnalisation des viols, de la culture de l’inceste dans la famille Pelicot, de la figure de la « bonne victime », de la définition juridique du viol, etc. Menant réflexions théoriques sur un cas particulier (les viols de Mazan), Vivre avec les hommes se présente donc une parfaite porte d’entrée aux questions féministes et de consentement.
Vivre avec les hommes, Réflexions sur le procès Pelicot, Manon GARCIA, Climats, 232 pages, 21 €
Visuel : © Couverture du livre