Les attentats terroristes de janvier 2015 ont décimé la rédaction de Charlie Hebdo. Cette violence extrême contre un journal a remis la liberté d’expression, en particulier les dessins de presse et les caricatures, au centre du débat public.
La Mosquée Bleue à Istanbul. En y pénétrant, le visiteur est stupéfait par tant de magnificence, par la grandeur de la voûte, la beauté des lustres et des céramiques. Les murs sont ornés de fleurs, de fruits, de cyprès, mais aucune représentation divine. Les caricatures de Mahomet n’étaient qu’un prétexte pour l’État Islamique qui voulait porter la guerre et la terreur en France. Mais elles avaient choqué le monde musulman en raison de cette interdiction, pour l’islam, de représenter Dieu et son prophète.
Le catholicisme, lui a choisi de se raconter en images. Les calvaires bretons racontent l’Évangile, les fresques de la cathédrale d’Albi nous montrent la création du monde et le jugement dernier. Les mosaïques byzantines de la cathédrale Sainte-Marie de Monréale en Sicile nous parlent de la vie du Christ. Ces mosaïques d’une exceptionnelle beauté sont peut-être la première « bande dessinée » religieuse.
Le politique, dès le Moyen Âge s’est emparé des arts graphiques. En témoigne la magnifique tapisserie de Bayeux, cette broderie pourrait être l’ancêtre de la bande dessinée. Elle se déploie sur 70 mètres, racontant la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. La peinture a glorifié les pouvoirs par des tableaux grandioses, célèbres, comme le Portrait de Louis XIV en Sacre de Hyacinthe Rigaud ou le Sacre de Napoléon par Jacques Louis David.
Avec le déclin de la royauté et du sacré, apparaissent des dessins beaucoup moins respectueux, beaucoup plus irrévérencieux. Les caricatures de Louis XVI et de Marie-Antoinette étaient impitoyables, surtout après la fuite à Varennes. La caricature anglaise s’est déchaînée entre 1793 et 1815 contre la révolution puis contre Napoléon. Sous la monarchie de Juillet, Honoré Daumier, le père de la caricature, a dessiné les hommes politiques mais aussi les travers sociaux de ses contemporains. Interdite sous le Second Empire, la caricature a été de nouveau autorisée par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Elle connaît alors un développement inédit. Et nous ne pouvions vivre sans la finesse politique des dessins de Plantu, la drôlerie impitoyable de ceux de Cabu.
Une longue tradition d’impertinence, d’irrévérence s’est mise ainsi en place. Une culture qui n’est pas aussi développée dans les sociétés musulmanes traditionnelles, ce qui pourrait expliquer la mauvaise réception de certaines de nos caricatures… Mais nos dessinateurs nous apportent tant : l’humour, l’autodérision, le rire et peut-être, un peu plus de tolérance.
Les dessinateurs nous aident aussi à comprendre, ce qui est complexe, lointain, étranger, inquiétant. Le Dossier V13 relate un procès hors norme, celui des attentats du 13 novembre 2015. Il est interdit de filmer les audiences. Alors Azzeddine Ahmed- Chaouch, journaliste, et Valentin Pasquier, dessinateur judiciaire, ont tout noté, tout dessiné. Le lecteur peut ainsi comprendre le fonctionnement de la justice, les émotions et la douleur des parties civiles. Il pourra s’approprier ce procès historique, comme s’il était présent à l’audience.
Dans L’Odyssée d’Hakim, Fabien Toulmé nous fait ressentir la violence de la guerre civile syrienne qui s’abat sur une famille. L’auteur nous fait vivre les exils successifs d’Hakim et de son très jeune fils, sa traversée de la mer, son long et douloureux parcours jusqu’en France. Un livre qui ne peut que modifier notre regard sur les migrants.
Femme, vie, liberté, le roman graphique de Marjane Satrapi nous conduit au cœur de la révolution des femmes iraniennes. Grâce aux magnifiques dessins, le courage et la soif de liberté de ces femmes nous touchent profondément. Un chef-d’œuvre qui fait accéder à l’universel la cause des femmes iraniennes.
La bande dessinée devient un mode d’expression politique majeur. Les dessins suscitent des émotions immédiates, ils permettent une empathie avec les personnages, une compréhension intime des situations. Ces trois chefs-d’œuvre illustrent le meilleur de la liberté d’expression, celle qui nous permet de comprendre, d’aller vers l’autre, de nous rendre plus humains.
Visuel © : Honoré Daumier, histoire-image.org