Tape dans la main, d’une édition à l’autre. Pour la promesse tenue. Le 34e festival Le Temps d’Aimer la danse monte encore en puissance en confortant son ampleur sur la scène européenne, en étendant son territoire dans 17 villes et en sortant l’artillerie lourde. Pas moins de six ballets sont à l’affiche de cette programmation et une foison de 39 compagnies accueillies, 57 spectacles programmés dans les théâtres ou les extérieurs, 42 rendez-vous gratuits et 537 artistes qui défileront entre Biarritz, Errenteria, Mauléon et jusqu’à Pau pendant 10 jours.
Tu es fou, mais tu es grand et je te suis » pourrait, bien sûr, clamer Sancho Panza, en jetant un œil protecteur à la première grande chevauchée de ce soir, ce Don Quixote porté par le Ballet de Berne. Tout un symbole pour figurer ce festival, sa dose d’idéal, de romantisme et les horizons de moulins à vent qui lui étaient promis par les inquisiteurs d’un contemporain triomphant. Mais le festival s’est accroché à sa propre histoire, en défendant l’éclectisme, les grands ensembles et les ballets quand ceux-ci étaient dénigrés, ringardisés ou jugés aussi poussiéreux qu’un répertoire. Le coup de ballets de ce festival en est d’autant plus revigorant.
Car les ballets sont aujourd’hui les lieux de création les plus passionnants. D’abord, en raison de leur force de frappe. 50 danseurs permanents composent par exemple les Ballets de Monte-Carlo, qui clôtureront le festival sur une intrigue shakespearienne. Un ballet narratif en deux actes, entre l’opéra et la comédie musicale, une écriture néoclassique inventive, des décors à couper le souffle. Une démonstration de force comme on en voit peu et qui laisse une empreinte profonde, à l’image de ces 300 danseurs de ballet qui ont participé, avec le Malandain Ballet Biarritz, à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques sur les bords de Seine. Gardiennes du temple, du répertoire, de l’art des formations —ces dessins que composent les entrelacs des danseurs— les grandes formes ne sont pas des parades mais une discipline propre, un savoir-faire qui se joue de tous les répertoires et des écritures les plus contemporaines, en alignant des danseurs d’exception. L’inverse est impossible et n’importe quelle troupe contemporaine qui se risquerait sur Le Lac s’y casserait les pointes.
Changer le monde
« La modernité des ballets n’est pas à mettre en cause aujourd’hui » balaye Thierry Malandain, devant sa porte. Le directeur artistique du festival n’a que l’embarras du choix pour étayer, à commencer par ce Don Quichotte de la Manche que le jeune chorégraphe taiwanais Po-Cheng Tsai, en ingénieux hidalgo, revisite sans nostalgie. Sous cette autorité fougueuse et déjà auréolée de prestigieux prix, les danseurs classiques explorent une gestuelle orientale, frôlant les arts martiaux, pour faire cracher à cette œuvre fondatrice son sens intact. « Est-il vraiment si ridicule de vouloir changer le monde ? », pose le chevalier à la triste figure.
La question restera en suspend jusqu’à dimanche, pour envelopper une rencontre professionnelle, au cœur du festival, de tous les directeurs de ballets de l’Hexagone. L’art du ballet est tout de même en perdition, tempère Thierry Malandain et si le Concours des jeunes chorégraphes de Ballets, organisé par les Ballets du Rhin, de Biarritz et de Bordeaux, déniche les artistes capables de travailler avec les grands ensembles, le manque de moyens continue de leur brûler les ailes. Avec la rentrée sociale, Thierry Malandain inscrirait bien les grands ballets au registre des doléances, comme un service public, entre la poste du village et le boulanger.
C’est ce village idéal que propose durant 10 jours le festival, faisant se rencontrer les grands esprits et les publics les plus variés. Le Ballet de Metz partira sur un air de tango en mission au mur à gauche de Bardos et dans les Jai Alai de Saint-Jean-Pied-de-Port et de Mauléon. Le CCN Ballet national de Marseille déroulera le tapis rouge à quatre écritures percutantes de femmes, inscrivant le ballet dans les codes du moment. Le Ballet de l’Opéra Grand Avignon, qui se prête au jeu de la Compagnie La Parenthèse, tissera un fil séduisant entre le romantisme et notre époque. Un joli trait d’union pour dire que les ballets traversent les époques. Ce que décortique d’ailleurs la chorégraphe Xenia Wiest, au sein du Ballett Schwerin, en déclinant Bach à tous les temps de l’indicatif, filant la métaphore entre une musique baroque qui résiste au remix, avec la danse classique qui devient moderne au sein des ballets. Une démonstration de force qui, à l’image de la programmation de ce 34e festival de danse de Biarritz, devient « un acte politique », brandit Thierry Malandain.
Rémi Rivière
Le festival Le temps d’aimer la danse se tient jusqu’au 16 septembre à Biarritz.
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Visuel : ©Gregory Batardon