En direct du festival Le temps d’aimer la danse, à Biarritz, Rémi Rivière partage ses coups de cœur.
Le collectif Bilaka est un étrange objet dans le monde actuel de la danse. Désormais programmés à l’Opéra de Bordeaux ou au Théâtre de la Ville à Paris, voilà les basques sommés d’expliquer une démarche qui coche trop de cases. Mais entre danse traditionnelle et contemporaine, Arthur, Zibel, Xabi et les autres, ne choisiront pas. Ils ont d’ailleurs d’autres entrechats à fouetter en planifiant un projet « secret et profond », comme on recherche sa propre langue chorégraphique. Cette fois, ils avancent masqués, jusqu’aux portes des ténèbres, bien décidés à trouver, à la jonction de deux cultures, la source d’un rite et l’essence de la danse traditionnelle. Un véritable enjeu pour le laboratoire Bilaka qui espère découvrir, dans les célébrations originelles, le sens authentique de sa démarche contemporaine.
Ainsi s’annonce la pièce iLaUNA, comme une quête d’identité qui s’apprête au grand saut des rites de passage. Mais avant d’attaquer l’évidente tradition carnavalesque, sa fertilité et la promesse des beaux jours, Bilaka parcours le chemin à rebours pour s’enfoncer doucement dans l’obscurité, au rythme du fiévreux Gau Beltza, la « nuit noire » en basque, un délicieux processus païen qui marque la fin des moissons et l’ultime baroud sauvage pour apprivoiser les ténèbres, avant la plénitude de l’hiver, de la nuit, de la mort. Une tradition basque qui avait même sa citrouille illuminée avant que Halloween n’en fasse oublier les fondements. Un rite européen, sans doute, en tout cas pyrénéen puisque ce carnaval inversé trouve sens également dans la culture occitane.
C’est avec cette double approche que iLaUNA (la lune éphémère en Gascon et en basque) veut « frotter les mouvements », les danses et les musiques de ces deux cultures, cherchant les intersections pour mieux retrouver le chemin initial. Le travail d’archéologue a exhumé des trésors, en établissant les mêmes systèmes d’improvisation dans le Fandango et la Bourrée ou en trouvant des lignes mélodiques communes aux deux traditions musicales. Cette expérience hybride a même donné un fruit, mélange de l’Alboka et de la Boha, la clarinette à anche des basques et la cornemuse des gascons qui fusionnent dans le même instrument, « aux sonorités sauvages et brutes » se réjouit Xabi, musicien de l’équipe. Deux sonorités il est vrai similaires qui conjuguent leur puissance aérophone en une vibration stratosphérique. Mais c’est dans la terre que les mythologies basques lanternent et qu’il faut creuser au son de ce nouveau clairon. ILaUNA est une descente qui laisse les costumes de danse basque sur leur cintre, fiers, droits, dignes, flottants dans la nostalgie de pollinisation avec la danse classique. A l’inverse Bilaka développe un répertoire au sol et assume ce rapport à la terre qui devient une esthétique assumée ou « le lien entre notre corps et la pratique traditionnelle » appuie Arthur. Le petit peuple qui saute aux pieds des Pyrénées a été esthétisé et si la gestuelle contemporaine ramène la danse au sol, c’est peut-être pour mieux se rapprocher d’une tradition populaire, se plait à penser tout haut Bilaka. De la terre jaillit la magie mais en attendant l’heure du carnaval et de la renaissance, quatre danseurs et deux musiciens nous la font à l’envers, de la lumière vers la nuit, dans un rituel d’acceptation de la mort et d’apaisement, interprétant un chant depuis la fin ou rembobinant Larrain Dantza en arrière. Mais comme au sein du carnaval, c’est dans l’anonymat du masque que se soude le collectif, dans cette épopée lourde mais jamais oppressante, qui renonce au final épique pour trouver la sérénité. Cette impavide adhésion est aussi le fruit d’une recherche fondamentale menée par des danseurs et des musiciens qui créent ensemble depuis sept ans, dans l’idée d’affûter leur propre langage, avançant pas à pas dans la culture basque comme dans un jeu de miroir. Cette création, pensée pour un format intime, sera présentée ce soir dans la version idéale d’un format tri-frontal, histoire peut-être de signifier au public de Biarritz que ce cycle sur les rites est un enrichissement commun et un processus collectif.
Le festival Le temps d’aimer la danse se tient jusqu’au 16 septembre à Biarritz.
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