En direct du festival Le temps d’aimer la danse, à Biarritz, Rémi Rivière partage ses coups de cœur.
Ambra Senatore revient au Temps d’Aimer dans un grand sourire communicatif, pour la troisième fois. La chorégraphe et meneuse du CCN de Nantes est devancée par le doux souvenir de ses pièces, malicieuses, parfois burlesques, pleines de chaleur et d’humanité. Cette envie de frotter les individus et une vraie posture de guerrière pour faire famille comme on fait corps face aux hoquètements du monde, ses conflits, ses horreurs, qui la touchent et la poussent —en réaction—, à implorer la cohésion. Une façon pour la chorégraphe et performeuse italienne de vaincre l’impuissance en opposant un modèle de société, un vrai, celui qui a bien dû faire souche, un jour, pour permettre aux fragiles hominidés de sortir de la nasse et de triompher de leur insupportable précarité, malgré cette navrante propension à s’entretuer. « Je n’arrive pas à comprendre comment l’être humain peut être si méchant » se désole Ambra Senatore. « Ni comment, par exemple, on peut ne pas comprendre la souffrance de tous ces gens qui se noient ! » ajoute t-elle en évoquant les migrants que l’on sait et dont le calvaire laisse indifférent. In Comune, qui sera présenté ce soir au Théâtre du Casino, devait être à l’origine « un travail sur la notion d’étranger » explique-t-elle. Mais il n’y avait plus d’étranger dans la troupe des douze danseurs de la pièce, ni même dans la salle de création dont la porte est toujours ouverte pour permettre l’interaction et entrebâiller le désir artistique au grand fracas extérieur. La chorégraphe se nourrit du réel, du tangible, et le groupe qu’elle a convié disait plutôt le bonheur d’être ensemble. « C’est facile on s’est choisi » reconnait Ambra Senatore. Une micro société, avec « son guide décrété » se présente t-elle, genre de premier ministre de cette confortable cohabitation, qui aurait pour plus grande mission « d’assortir le groupe ». Nul besoin d’ailleurs de convoquer Michel Barnier pour comprendre le grand intérêt de cette mission. Une question « d’urgence » pour la chorégraphe, tant que « l’être humain est agressif pour lui-même, pour les autres espèces et pour son environnement ». « Au moins pour préserver l’espèce » va t-elle chercher. La question est fondamentale, biologique même. Et de comparer le comportement humain à celui du loup, de la fourmi et de tout bestiaire qui démontre l’incohérence comportementale de se zigouiller soi-même. A la tête d’une petite société idéale de douze danseurs, Ambra Senatore se tourne vers le monde et les spectateurs avec empathie et besoin irrépressible d’agglomérer et faire communauté. A l’heure des grandes dissolutions et dans la convalescence de la crise du Covid, ce besoin dépasse les seuls plateaux et la figure imposée de l’individu dans le groupe. C’est même peut-être un signe des temps si l’on considère ce seul festival, sa manière de brasser les publics et de les réunir, sa propension à investir le territoire de la Communauté Pays Basque. Et son crû 2024 fait de grands ensembles, certes et aussi de collectifs artistiques, comme Bilaka, Kor’sia, FAIR-E, (La)Horde. Mais si la question est des plus sérieuses, la réponse d’Ambra la sénatrice est dans la délicatesse, dans le jeu, l’astuce et l’humour, qui sont l’expression pudique des beaux esprits. Décaler le sujet grave, c’est le rendre ridicule ou en faire triompher le contre exemple. Cela vaut dans la vie quotidienne et l’immanquable accrochage familial autour de la corvée de poubelle devient drôle si l’on applique la méthode Ambra. Du reste, elle précise que c’est elle qui trie le mieux les déchets. Au-delà des corvées domestiques, se sont les femmes d’Afghanistan ou d’Iran qui l’interpellent. Sa réponse n’est pas dans le sourire qui pourrait faire ironie, mais dans un authentique poème qui répète la nature. Et cette communauté qui fait front, qui nous assemble, comme une ode au bonheur d’être ensemble.
Rémi Rivière
Le festival Le temps d’aimer la danse se tient jusqu’au 16 septembre à Biarritz.
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Visuel : © Bastien Capela