En direct du festival Le temps d’aimer la danse, à Biarritz, Rémi Rivière partage ses coups de cœur.
« Justement on vient d’en parler au filage avec les danseurs. On échangeait sur la pensée de ce programme », se réjouit Arthur Harel, lorsque les relations téléphoniques entre Biarritz et Marseille se rétablissent. Membre du Collectif artistique (La)Horde, qui a pris la direction du CCN Ballet National de Marseille il y a cinq ans, le jeune homme a tout loisir de dérouler cette « pratique nouvelle » qu’est, pour lui, la programmation d’un Ballet.
Chantre d’une communauté qu’ils qualifient de « post-internet », les trois membres de (La)Horde ont gagné leur popularité en mettant en scène les danses qui se mijotent sur le web. Ce fût le cas en 2020, au Temps d’Aimer, lorsque le collectif présentait To da bone, avec des danseurs de jumpstyle qui prenaient pour la première fois la lumière du plateau en surgissant de leurs salons ou des boîtes techno hardcore. Un programme comme un manifeste, pour secouer le cocotier du monde de la danse à près de 200 battements par minute. Mais la lumière d’une révolution ne se fait qu’à l’exercice du pouvoir. 19 danseurs et un ballet junior de 10 apprentis constituent les contours de ce pays à inventer, dans l’idéal de mêler les danses aux arts visuels, à la performance et à tout ce qui raconte notre temps.
Avec ce regard tranché de tendanceur culturel, le collectif gagne ses lettres de noblesse, entourant le compositeur électro Rone pour créer au châtelet Room With a View, prenant la direction artistique des chorégraphies de Madonna dans sa tournée mondiale The Celebration, ou illuminant la cité phocéenne devant plus de 20 000 personnes, en juillet dernier, sur une scène flottante plantée dans le Vieux-Port, pour un programme également intitulé Célébration. Populaire et branché, le collectif a effectivement de quoi célébrer, à commencer par Les 40 ans des CCN aux Temps d’Aimer où ils promettent un extrait de Room With a View, après le programme flottant du Vieux-Port. Mais les beat techno couronneront aussi une authentique réflexion qui s’inscrit avec justesse dans le programme de cette édition du festival.
Répertoire
Comment aborde-t-on la question du répertoire dans les Ballets aujourd’hui ? La réponse de (La)Horde est en partie dans « la pensée de ce programme », évoquée par Arthur Harel, qui traverse l’histoire récente et les formes du Ballet, comme l’allégorie saisissante de tous les possibles. A commencer par cette mise au pas des chorégraphes contemporains, invités aujourd’hui à écrire pour les grands ensembles. Du plus formel au plus impertinent, cette narration en quatre pièces débute toutefois par une réflexion déjà bien engagée dans le Concerto de Lucinda Childs, danse minimaliste qui se concentre sur l’architecture du groupe, l’art complexe des formations. On reste dans le jeu d’ensemble avec One Of Four Periods In Time de Tânia Carvalho, qui s’en amuse en une danse sur pointes d’humour. « C’est une écriture de groupe mais quelque chose s’opère » commente Arthur Harel. Dans Mood, Lasseindra Ninja, icône queer de la danse Voguing en France, se plie pour la première fois à ce formalisme en cercle, en duo, en solo ou en trio en confrontant ironiquement sa transidentité dans les mouvements d’une structure classique. Enfin, Oona Doherty multiplie par 20 son solo minimaliste et théâtral Hope Hunt & the Ascension into Lazarus, qui avait bouleversé le Temps d’Aimer il y a quelques années, dans une danse urbaine qui souligne la masculinité toxique. Le final aux allures de rave party désenchantée de Room With a View contribuera à revendiquer tous les possibles du Ballet. Ou plutôt, modère Arthur Harel, sa capacité « à s’approprier beaucoup et donner du sens ». « Le but n’est pas que les danseurs fassent tout, défend t-il, mais qu’ils soient capables de faire ce qui fait sens ». Et ce qui fait cohésion. « On challenge les danseurs en formant un groupe pour incarner des esthétiques différentes » résume Arthur Harel. La corde sensible du Ballet. Qui peut avaler les codes de la société pour coller à l’air du temps.
Rémi Rivière
Affiche et photo : ©Didier Philispart