En direct du festival Le temps d’aimer la danse, à Biarritz, Rémi Rivière partage ses coups de cœur.
Une écriture sensible et percutante, rageuse et empreinte de liberté, lumineuse et révoltée. La jeune chorégraphe Leïla Ka est attendue au tournant du festival Le Temps d’Aimer la Danse, où son fulgurant succès fascine. Elle, estime plutôt avoir « eu de la chance ». Et reste dans la retenue pour qualifier sa danse. Une question de pudeur, peut-être, ou une réticence naturelle à mettre des mots sur ce qui, par définition, s’en passe si bien. Car Leïla Ka ne manque pas d’éloquence et débute sur les chapeaux de roues une carrière singulière et affirmée, justement marquée par la quête d’une identité. Un chemin que le festival reprend ce soir depuis le début.
Déjà reconnue par une multitude de prix, la jeune trentenaire a commencé la danse du côté de Saint-Nazaire, à l’âge canonique de 15 ans. Dix ans plus tard, avec sa seule expérience du hip-hop, elle décroche un rôle dans le chef d’œuvre de Maguy Marin, May B. Avant de créer son premier solo, « en clin d’œil à May B et Maguy Marin » précise t-elle. Sous l’intitulé lusitanien Pode Ser, hommage à la communauté portugaise de Saint Nazaire, la pièce sera jouée plus de 200 fois et recevra une bonne demi-douzaine de prix. Il faut dire qu’au creux de la vague #Metoo, ce manifeste chorégraphique porte les germes d’un combat féministe. Robe en tulle sur jogging et baskets, Leïla Ka semble se débattre à coups de coudes contre les stéréotypes et ce vêtement qui tient le rôle dont on affuble. Les deux autres pièces, qui seront présentées ce soir, enfoncent ce clou. Dans C’est toi qu’on adore, Leïla Ka double la mise avec un duo de femmes qui semblent lutter contre la même assignation de genre. À la fois vulnérables et invincibles, elles sont en tout cas dans la bataille et gagnent leur icône féministe dans un élan d’espoir et de ténacité. Bouffées multiplie encore les possibles de Leïla Ka, en plantant cinq femmes comme on figure toute une armée, en carcans de robes fleuries ou de tablier, qui semblent enchaîner les gestes guerriers de leur vie, en vitesse accélérée, saccadés par leurs propres soupirs. Des gestes qui appartiennent au registre féminin, comme si surgissait l’idée de mouvements genrés et qui brandissent, encore, une force intacte, une puissance de vie ou une « rage de liberté ». Mais Leïla Ka se défend du parti pris féministe, ou en réfute en tout cas la préméditation. « Ce n’était pas mon idée, dit-elle. Ce sont juste des choses qui me tenaient à cœur ». Elle préfère chercher, dans cette approche féminine, une explication plus personnelle, en remontant à la source de sa famille nombreuse et de ces quatre sœurs, de leurs jeux d’enfants et du « joyeux bordel » qui rythmait sa vie.
Preuve en est peut-être dans le plaisir qu’elle retrouve à danser ses propres pièces et à retrouver son univers, avec sa sœur parfois, la chanteuse Zaho de Sagazan dont elle chorégraphie des clips. Comme un jeu enfantin qui mimerait ce que l’on est, ce que l’on veut être et permettrait « l’insolence ». Si, à Biarritz, elle laisse sa place de danseuse et assistera pour la première fois à son programme depuis les fauteuils d’orchestre, cette envie de danse l’anime également pour créer. Avec un vrai enjeu expiatoire, « des choses un peu secrètes comme la colère ou la révolte ». Une aspiration à la liberté qui devient universelle dans une belle sororité retrouvée.
Rémi Rivière
Le festival Le temps d’aimer la danse se tient jusqu’au 16 septembre à Biarritz.
Programme, informations et réservations
Visuel : © Bouffeies