En direct du festival Le temps d’aimer la danse, à Biarritz, Rémi Rivière partage ses coups de cœur.
Martin Harriague est à fleur de peau. Entendre, un peu plus que d’habitude. Car, tout de même, le chorégraphe turbulent, que précède un long roulement de tambour à chacune de ses créations, s’apprête à une nouvelle pirouette dans l’intitulé équivoque, opaque et cuirassé même, de Crocodile. À la surprise générale, le gros lézard cache un authentique duo amoureux, délicat, frêle et électrique. De quoi déployer sa belle danse ample, puisque le bayonnais monte sur les planches. On savait pourtant le danseur félin, tellurique, quand ses pattes s’enfoncent pour mieux bondir. Et le chorégraphe agile qui se repaît là où on ne l’attend pas. Capable d’ordonner le Malandain Ballet Biarritz dans une Sirène d’alarme, de mettre au pas du cabaret les meilleurs danseurs du Ballet de Wiesbaden et, comme un effronté, de goûter sans retenue au stand-up, aux marionnettes, à la musique et même au Moonwalk en tenue traditionnelle. Mais le fauve est blessé. La perte d’un être cher. La fin d’un cycle, peut-être, qu’il a tenté d’enterrer dans How the body works the dark. Et puis un peu de plomb dans la fourrure, quand la critique est déroutée par une œuvre qui se nourrit de l’instant et « compromet la danse avec la chose politique ou théâtrale ». « J’ai bien compris qu’on ne peut pas faire ce que l’on veut » se repent Martin, prêt à promettre en croisant tous les doigts, dans l’éclair de défi qu’ont les garnements récidivistes. Car s’il y a bien une constante dans l’œuvre polymorphe que le chorégraphe bayonnais est en train de bâtir, c’est son engagement. Un vrai devoir d’artiste, qui plaide pour l’environnement ou dézingue en douze pièces Donald Trump. Un douze coups que Martin rengaine comme un jouet. « J’en ai marre » renonce t-il, à deux mois des présidentielles américaines. Avant de recharger le barillet pour un « best off » à venir, ou un « worst off » prévoit-il, avec le Ballet de l’Opéra du Grand Avignon dont il vient de prendre la tête. Mais il n’empêche que ce Crocodile au cuir épais est un objet nouveau et déroutant, qui ressemble d’abord à la résolution d’un lendemain d’excès : « Vous voulez de la danse ? Et bien je vais vous en donner ! » lance-t-il depuis le théâtre de Bayonne. Cette fois, c’est son corps qui dicte.
Engagement
De la danse sans politique, donc, mais pas sans engagement. Dans ce tournant de vie, Martin est tombé amoureux. Avec brutalité, mais constance, renouant une idylle de bambin, de main tenue sur la murette de l’école, de petit mot doux où l’on coche des « je t’aime ». Une pièce « personnelle », « émotionnelle » déroule-t-il. Qui laisse parler le corps, comme un retour à sa source. Martin le félin est sur une piste et se rappelle une danseuse « instinctive et animale », Émilie Leriche, rencontrée à Göteborg, en Suède. C’est avec elle qu’il crée aujourd’hui ce duo si fragile, dans l’idée de deux corps aimantés qui entament une relation. Aux Pays-Bas, puis en Israël, Martin Harriague a développé une méthode d’écriture instinctive de la danse, qui joue sur l’interaction et qu’il a fort justement nommé « Physical Translations ». Un art aussi fugace que celui de l’amour, qui requiert une implication de chaque souffle. Si l’un des danseurs perd le fil, la relation s’effondre. Aucune chance de se raccrocher à la partition, minimaliste, lancinante, obstinée, sans fin. Ce Canto Ostinato, œuvre phare de Simeon Ten Holt, écrit à l’origine pour deux pianos et réarrangé par Stéphane Garin pour deux xylophones, marimbas, est interprété par l’Ensemble 0 dans le même péril constant de s’emmêler les baguettes. Une pièce qui ne tient donc qu’à un souffle, simultanément romantique et animal, réconciliant la culture et la biologie dans la même effluve. À un crocodile près, donc, Léviathan menaçant qui guette le faux pas de ce dialogue amoureux. C’est le croco empaillé et rafistolé qui prenait la poussière chez Martin Harriague et intriguait Émilie Leriche, au point d’en interroger la symbolique. Une force aquatique du chaos, un cataclysme en puissance, une menace de destruction qui s’oppose naturellement à la puissance créatrice de l’amour. Martin Harriague, qui débute dans ce genre, s’est débarrassé de la bête. Dans le doute, pour laisser une chance au dialogue des émotions sur la scène et laisser les corps in vivo se répondre. Pour vaincre la peur qui, pense t-il, l’empêchait d’aborder sur scène le sentiment amoureux. Mais c’est peut-être « la pièce la plus engagée que j’ai faite », retombe t-il sur ses pattes.
Rémi Rivière
Le festival Le temps d’aimer la danse se tient jusqu’au 16 septembre à Biarritz.
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Visuel : © Stéphane Bellocq.