Le réalisateur mexicain Michel Franco présente en compétition un drame érotique intense et cruel sur les rapports toxiques de pouvoir que les mécènes ultra-riches dans l’Amérique de Trump entretiennent avec leurs protégés pittoresques et désargentés.
Le film ouvre avec une première transgression : celle d’un jeune Apollon, Fernando (Isaac Hernández), qui franchit illégalement la frontière entre le Mexique et les États-Unis pour venir toquer à la porte de Jennifer McCarthy (Jessica Chastain) à San Francisco. Jennifer est riche, plus âgée, mais impeccablement entretenue, habituée aux jets privés, SUV avec chauffeur, galas à l’opéra et restaurants de luxe.
Avec son frère Jake (Rupert Friend), un peu brut de décoffrage, Jennifer administre une dotation colossale que son père Michael (Marshall Bell) avait mise en place après le décès de son épouse. Parmi de nombreux projets de mécénat artistique, la fondation finance une école de ballet à Mexico City. C’est dans ce contexte qu’elle s’engage dans une aventure passionnelle avec le jeune et talentueux danseur Fernando. Dès le début, le spectateur se trouve confronté à une sorte de corrida. Il sait qui sera gagnant dans ce combat inégal et cruel, mais espère malgré lui, que le taureau sectionne l’artère fémorale de son bourreau.
Isaac Hernández est remarquable dans le rôle de Fernando, avec lequel il partage de nombreux traits. Né en 1990, septième de onze enfants d’une famille juive de Guadalajara, Hernández est parti à Philadelphie à 13 ans. En 2008, il a rejoint le corps de ballet de San Francisco où il a été promu soliste et danseur principal. Aujourd’hui, Hernández est danseur étoile du American Ballet Theatre à New York, le premier Mexicain à décrocher ce titre depuis la fondation de la compagnie en 1939. Les scènes de danse sont magnifiques et bien mises en valeur, mais Hernández est tout aussi convaincant dans le rôle de l’amant qui réclame avec fureur sa juste place auprès de la femme qu’il aime.
Jessica Chastain, toujours soucieuse de choisir des rôles émancipateurs des femmes (Le Grand Jeu, Dans les yeux de Tammy Faye) et socialement impactants (Miss Sloane, Woman Walks Ahead), opte ici pour un rôle sombre et hypocrite au travers duquel elle livre une critique sociale provocatrice et incisive. Rousse et pâle, en haute couture, stilettos et impeccable brushing, elle passe son temps à traverser des salles de musées, à monter les escaliers des théâtres et à siroter du champagne dans les halls d’entrée modernistes des institutions financées par son père. Flanquée de fonctionnaires et assistants, elle est d’une froideur à toute épreuve et même dans ses rapports avec Fernando, elle ne lâche jamais le contrôle.
Si leur affaire a pu s’épanouir loin du quotidien américain de Jennifer, tout change quand Fernando débarque chez elle à San Francisco. Fier et susceptible, le jeune homme n’accepte pas de ne pas être reconnu publiquement. Jennifer, qui parle l’espagnol à l’aide de Google translate, est excédée de l’entendre parler au personnel mexicain en espagnol. Dans une première épreuve de force, Fernando la quitte. Avec la rage blessée de celle à qui rien n’a jamais été refusé, elle le traque jusqu’au Mexique. Dans son imposante demeure au Mexico City, elle lui promet une vie commune là-bas, loin de son univers de riches.
À travers cette relation qui devient de plus en plus toxique, Franco explore avec une acuité glaçante le mélange explosif de l’argent, du sexe, du racisme et de l’arrogance qui régit les rapports entre les ultra-riches et les autres. Les clichés sont maniés avec sarcasme et habilité, pour révéler le discours ignorant et condescendant que les mécènes des arts Américains ultra-riches réservent à leurs voisins mexicains. L’adage selon lequel les Mexicains sont artistiques parce que pauvres sera mis à rude épreuve dans une séquence finale aussi brutale que prévisible. Une mise à mort symbolique qui nous laisse avec un goût amer et une rage au ventre.
Visuels : © Teorema