Ce 25 juillet, à l’église de Verbier Station, Brad Mehldau, le célèbre pianiste, compositeur et arrangeur américain, figure majeure du jazz contemporain, a délecté son public dévoué avec son jeu intimiste et lyrique. Et son programme était varié : avec des compositions originales, mais aussi des reprises des Beatles, de Radiohead, de Jimmy Hendricks et de Neil Young.
Grand, mince, les cheveux poivre et sel, vêtu d’un t-shirt noir, Brad Mehldau, s’installe au piano. Sans mot dire, il se lance dans une interprétation contemplative de « John Boy ». Voûté sur le clavier, comme s’il voulait y plonger, Brad Mehldau enchaîne, sans interruption, avec une composition très rythmique aux accents de bossa nova, « The falcon will fly again. » Les deux morceaux figurent dans son album Highway Rider (2010). Les spectateurs qui attendaient un mot d’introduction, un regard ou simplement une opportunité pour l’applaudir, devront s’armer de patience, car Mehldau n’a visiblement aucune intention de s’arrêter. Il déroule son programme avec « C Tune » de l’album Live in Tokyo (2004) et termine cette première séquence avec une nouvelle composition, provisoirement appelée « C major in 6/8. »
Brad Mehldau arrêtera de jouer aussi subitement qu’il a commencé. Pendant que les spectateurs expriment leur appréciation avec empressement, Brad Mehldau s’essuie les mains et les aisselles avec une petite serviette, s’incline hâtivement devant le public et, toujours aussi mutique, reprend la petite feuille qui lui sert de set liste, y jette un coup d’œil furtif, et continue avec sa reprise de « Here There and Everywhere » de John Lennon et Paul McCartney, parue dans son dernier album Your Mother Should Know : Brad Mehldau Plays The Beatles (2023).
Les auditeurs profitent d’un bref répit, pendant lequel Mehldau s’essuiera de nouveau les mains, pour applaudir, siffler et partager quelques chaleureux bravos. Cette fois-ci, le pianiste du jazz le plus primé de la nouvelle génération, lauréat du Grammy Award du meilleur album de jazz instrumental en 2020 pour Finding Gabriel, s’adressera au public. « Je suis très heureux d’être ici. C’est un grand honneur pour moi. » Il mitraille les titres qu’il vient de jouer et annonce qu’il va interpréter « Optimistic » de Radiohead, avant d’ajouter : « C’est la première fois que je le fais, j’espère que je ne vais pas me planter. » Brad Mehldau avait déjà transformé « Paranoid Android » de Radiohead en standard de jazz pour son album Largo (2002), un disque dans lequel le pianiste explore également les sonorités électroniques. Il joue « Optimistic » avec une impressionnante aisance technique – le morceau est complexe – et une mélancolie adaptée à la chanson qui démarre avec les mots : « Les mouches bourdonnent autour de ma tête / Les vautours tournent autour des morts. »
Le jazzman, épris du pop rock, enchaîne avec deux autres reprises : « Don’t let it bring you down » de Neil Young paru dans Suite : April 2020 et « If I needed someone » de George Harrison (Your Mother Should Know, 2023). S’essuyant les mains pendant que les spectateurs applaudissent, Mehldau introduit le titre suivant : « Je suis en tournée depuis un mois. J’ai écrit le morceau « There is your grace, » mais je ne l’ai pas encore joué. » Il sort son téléphone portable et l’installe sur le pupitre en disant : » Le téléphone peut être une passerelle vers le sublime. » Ses doigts glissent sur le clavier, tâtonnent, s’élancent et ralentissent. Il s’arrête pour ranger le téléphone et reprend la mélodie en improvisant. Le résultat est saisissant et les applaudissements retentissent une fois de plus.
Mehldau enchaîne avec deux morceaux ; « Resignation, » une longue et poignante ballade, parue dans l’album Elegiac Cycle de 1999, inspiré par le motif de répétition cyclique que James Joyce utilisera dans l’Ulysse, et « Paris. » Ce dernier titre figure dans l’album Places (2000), conçu autour du thème de voyage qui débute avec Los Angeles, où Mehldau résidait à l’époque et, passant par Madrid, Amsterdam, Perugia, Paris, etc., clôt le cycle avec une reprise de Los Angeles. Interrompu brièvement par une salve d’applaudissements, il continuera avec « Hey Joe, » une reprise de Jimmy Hendricks, enregistrée sur l’album Where do you start (2012).
Rappelé sur scène par les spectateurs passionnés qui applaudissent, crient son nom, sifflent, bondissent de leurs sièges pour mieux le prendre en photo, Brad Mehldau enchaînera trois généreux bis : « From this moment on » de Cole Porter, « Dis here » de Boby Timmons et une improvisation sur les Variations Goldberg de Bach. Avec trois standing ovations, Brad Mehldau bat tous les records de popularité de cette 30ème édition du Verbier Festival !
Visuels : © Agnieszka Biolik