Pourquoi le théâtre ? Pourquoi en faire ? Pourquoi aller en voir ? À ces questions à la fois banales et vertigineuses, Ahmed Madani et ses interprètes répondent que la réponse est tout simplement vitale.
Les sept jeunes interprètes débutent leur carrière professionnelle avec ce qu’elle draine, nécessairement de précarité, de doutes, de souffrances aussi. Chacun-e à son tour, ils et elles viendront nous faire part du moment où le théâtre est entré dans leur vie. Et comment, surtout, il s’y est imposé. Les parcours sont divers, voire antinomiques. D’un côté, on fait la connaissance de Côme qui a grandi dans une famille bourgeoise catholique conservatrice (la photo du mariage de ses parents par Sarkozy à elle seule vaut le détour) où la culture est partout. Et aussi de Rita en colère contre ses parents qui ne lui ont pas offert cette ouverture sur le théâtre, la littérature ou le cinéma.
Tous ces parcours de vie, du plus simple presque banal, à celui dont le seul récit glace le sang, sont dits avec la sincérité de la confidence et la distance du jeu théâtral. C’est là la marque de fabrique d’Ahmed Madani. Faire don d’un plateau non pas comme laboratoire pour disséquer mais comme un cabinet de curiosités poétique(s). On rit beaucoup dans ce spectacle quand on y reconnaît les exercices de training de l’acteur. Par la dérision dont ils et elles sont capables surtout. On se sent, disons-le en famille… Mais soudain la violence s’installe et nous saisit.
Ahmed Madani et ses interprètes n’ont pas peur de tendre un miroir au monde du théâtre. Deux scènes surtout interpellent. La première commence presque comme une blague de plateau. Une jeune comédienne débute le monologue de Suzanne dans Juste la fin du monde de Lagarce. En face d’elle, non pas un-e prof mais six. Les remarques sexistes, méprisantes, insultantes fusent sous couvert de conseils. Il n’est plus question d’amusement mais de savoir où sont les limites que l’on (se) donne pour produire un geste artistique. Un vent de révolte souffle alors. C’est stop. Ceci ne doit plus arriver. Et cette jeune génération n’est pas près de s’en laisser conter. On leur doit un grand merci.
Il en va de même pour la dénonciation en chœur des violences sexuelles faites aux femmes dans le milieu théâtral. Elles sont nombreuses. On le sait, on le chuchote, mais on ne le dit pas trop fort. Pas peur pour sa carrière, par peur de ne plus jouer. C’était sans compter ce chœur d’amazones, de Troyennes d’aujourd’hui. Par la scansion d’un chant qui n’est pas sans rappeler la tragédie grecque antique, elles dénoncent, mettent des mots sur ce qui est intolérable. Ce face public est sans doute le moment le plus fort du spectacle dans le sens où ne se pose plus la question de savoir ce qui est vrai ou de l’ordre du récit dans ce qui est dit. Non, ici, la parole est brute, douloureuse à dire et à entendre, et donc, essentielle.
On ressort d’Entrée des artistes, épaté par ces jeunes gens qui savent danser, chanter, jouer la comédie avec le même talent, la même précision et sans esprit de sérieux. Mais l’on est aussi ému d’avoir eu la chance de voir une si belle et jeune troupe nous parler. Cette génération qui vient a beaucoup à nous apprendre, nous serions bien malin-e-s de faire silence et de les écouter.
Entrée des artistes d’Hamed Madani-Théâtre des Halles à 11H30 (relâche le mercredi)
Crédit photo ©François Louis Athénas
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