Hercule et sa clique de demi-dieux n’ont qu’à bien se tenir… ! Car les femmes, en chœur, occupent l’espace, bien décidées à réécrire les dénouements des mythologies gréco-romaines. Que se passe-t-il si la vie de Pénélope ne se résume plus à l’attente de son Ulysse ? Si, au lieu de mourir de chagrin, Didon refait sa vie avec un autre et devient artiste ? Et si Hélène refuse de porter le titre, trop lourd et arbitraire, de femme la plus belle du monde ?
« Il faut que la femme s’écrive : que la femme écrive de la femme et fasse venir les femmes à l’écriture »
Les Héroïdes nous embarquent au bord d’un vaisseau féministe aux voiles et voix gonflées d’une révolte qui va crescendo. Flávia Lorenzi et sa troupe font le choix d’une écriture chorale, rhapsodique, où se tissent récits et chants de femmes outragées qui ne cessent pourtant de vouloir réinventer leur(s) histoire(s). À les voir, il semble en effet que rien ne puisse être pire que d’être dépossédées de son récit. La somme des récits mythologiques qui nous sont rappelés dit combien ils sont conjugués au masculin : Hercule est ici comiquement représenté en chantre de la masculinité toxique et Énée abandonne sans complexe sa bien-aimée par SMS. Bref, les mâles n’ont plus le beau rôle car les femmes redeviennent autrices et actrices de leur vie.
« Dis, quand reviendras-tu ? »
Mais que sont les Héroïdes ? À l’origine, c’est un recueil de lettres fictives écrites par Ovide, mettant en scène des héroïnes de la mythologie écrivant à leurs célèbres amants reproches et lamentations. Ces lettres ont été en partie réécrites par la compagnie BrutaFlor sous la direction de Flávia Lorenzi. Leur but est de dénoncer l’hégémonie masculine des récits. Le topos de la femme qui attend éternellement son époux structure nos mœurs et infuse notre société. Barbara a donc sa place à côté d’Hélène, Didon ou encore Médée. Dès le début, on pressent la levée de boucliers sororale quand l’une des six comédiennes allume une flamme, symbole d’une nouvelle lumière éclairant ces récits anciens.
Du female gaze au théâtre
Flávia Lorenzi et sa troupe nous introduisent dans un univers où paganisme et paillettes se côtoient. La scénographie, efficace et vibrante — on n’oublie pas ces choeurs de femmes qui scandent le texte — nous ancre dans notre époque. Ainsi, un jeu télévisé ouvre Les Héroïdes en brisant le quatrième mur : les spectateur.ice.s sont invité.e.s. à voter pour élire, par exemple, leur fin préférée à l’histoire d’Ariane. Le ton est donné et les comédiennes, pétulantes, défilent pour interpréter, chacune, une Ariane plus désespérée que la précédente. C’est en donnant à voir l’uniformité de ces récits masculins que peuvent justement émerger d’autres voix (voies…), plus inattendues, plus vraisemblables aussi.
Des femmes et des voix puissantes
De la comédie musicale en passant par les chants sorciers — qui d’ailleurs évoquent le Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma — Les Héroïdes est un spectacle où le chant a la part belle. Pas question de se cantonner au texte ; la mise en scène va du côté d’une hybridation du texte et du chant. Pourquoi ? Nous pouvons faire l’hypothèse que les chœurs de femmes constituent une figure esthétique, une réponse collective, au patriarcat. Les comédiennes signent une interprétation dynamique, drôle et audacieuse ; le pari est réussi, et Pâris déconfit…
Au 11. Avignon
du 02/07 au 21/07
à 13h45
Relâches les lundis 8 & 15 juillet
Visuel : ©Robson Barros
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