Dans ce second volet de leur interrogation sur l’identité, Nicolas Petisoff et Denis Malard cherchent les mots pour dire l’homosexualité. Percutant !
Marin est le frère de Less qui tombe un soir amoureuse de Manu. Elle-même est l’ancienne amoureuse de Muriel qui est mariée avec Denis, le meilleur ami de Nico, le petit copain de Marin. Une histoire de familles recomposées en somme. Une famille qui s’est construite au delà des normes et des attendus. Parce qu’il faut bien faire groupe face à l’assaut régulier, jamais à court de souffle, de l’homophobie et de ses sbires.
Le spectacle est construit en trois temps. Chacun-e des trois interprètes sera filmé-e pendant son récit. Les images ne prennent jamais le dessus sur le plateau. Il faut cela, tout le talent de Leslie Bernard, Emmanuelle Hiron et Nicolas Petitsoff. Leur adresse au public semble dénuée d’artifice, de « trucs » d’interprètes. Et c’est à ça que l’on reconnaît le travail précis de l’interprétation.
C’est donc l’histoire de celles-là, Less et Manu, puis de celui-ci, Nico, qui tisse la trame du spectacle. Malgré les témoignages-vidéos qui semblent faire figure de documents authentiques, on se pose la question de ce qui est l’ordre du véridique ou du fictionnel. Et l’on se surprend à penser que peu importe au fond. C’est d’ailleurs la force même de l’auto-fiction. Ces trois récits, hormis le fait qu’ils et elles se connaissent, a pour motif commun, la difficulté de trouver les mots pour se dire. On ne peut pas aimer, se connaître, se comprendre si, comme le dit le titre « on n’a pas les mots « .
Sur scène, quelques chaises orange fluo éparpillées sur lesquelles sont invités à s’asseoir des membres du public, une rangée de bombers suspendus au fond de scène et au-dessus un écran. Un dispositif assez simple mais qui s’avérera être on ne peut plus opérant pour ce spectacle qui entremêle récits personnels et révolte politique. Une mise en écho superbe sous l’égide du King Kong théorie de Virginie Despentes et de celle de Béatrice Dalle dont la voix résonne à la fin dans une litanie d’insultes en montrant le mécanisme de leur construction. Le moment est saisissant tout autant pour celles et ceux qui les ont entendus à leur endroit que pour celles et ceux qui les ont entendus sans rien dire.
Lorsqu’à la fin du spectacle nous fait face cette armée de jeunes gens dans le fumigène orange, nous sommes pris de l’envie (presque) irrépressible de monter sur scène, de faire groupe et de partir lutter. Force est de constater, à nouveau et avec plaisir, que non, les artistes ne sont pas coupé-e-s du reste de la société, que non, ils/elles n’ont pas oublié de penser le monde tel qu’il ne va pas, de s’en saisir et d’en faire un spectacle accessible, populaire, poétique et sensible…
« Comment avouer son amour quand on a pas le mot pour le dire » de Nicolas Petisoff et Denis Malard
à la Manufacture- Festival OFF d’Avignon du 3 au 21 juillet à 13h50
Crédit photo : © Julie Glassberg