« A Traveler’s Needs » remporte l’Ours d’argent du Grand prix du jury à la Berlinale

Iris (Isabelle Huppert) est un personnage enveloppé de mystère. Ni les personnes qu’elle rencontre dans le film ni les spectateurs ne savent et n’apprennent quoi que ce soit d’elle, à part le fait qu’elle est Française, qu’elle aime le makgeolli, le vin de riz coréen, et qu’elle joue de la flûte à bec – très mal – dans les parcs publics. Elle s’invente en professeure de français à la fois impérieuse et séductrice. Elle facture des sommes exorbitantes pour bousculer ses clients avec des questions personnelles visant à révéler une émotion ou une histoire enfuie dans l’inconscient. Mal à l’aise et déconcertés par cette méthode douteuse (« Il n’y a pas de manuel ? », demande une étudiante dubitative) mais trop polis pour refuser, ils se soumettent à l’exercice qu’elle leur impose.

Iris traduit ensuite en français leurs réponses et les retranscrit sur des cartes d’index lignées pour qu’ils les apprennent par cœur. Mais le diable est dans le détail et Dieu sait comme l’interprétation peut être délicate ! Avec une espièglerie malicieuse et toute huppertienne, Iris traduit les propos de ses clients de sorte à faire ressortir des vérités douloureuses ou humiliantes qu’ils n’ont jamais exprimées. « Elle questionne tout le monde obsessivement et force toute personne qu’elle rencontre à se confronter à la vérité », explique Isabelle Huppert en conférence de presse à Berlin. Avant d’ajouter, avec un sourire moqueur : « Mais elle est mauvaise aussi. Elle sait très bien ce qu’elle fait. »

Avec la délicatesse qu’on lui connaît, Hong Sang-soo nous propose des compositions colorées et poétiques juxtaposant les verts de son cardigan, du mur de la terrasse et du feuillage dans le parc. Tout est là pour provoquer un contraste entre la perception impitoyable et l’expression brutale qu’emploie Iris avec son incarnation physique à la fois agitée (en compagnie des gens) et éthérée (dès qu’elle s’en éloigne). La caméra l’accompagne au moment où elle quitte ses clients dans le parc et on la voit flâner en traînant presque les pieds et puis disparaître subitement comme si elle n’avait jamais été là.

Dans la dernière séquence du film, Iris retourne dans l’appartement d’Inguk (Ha Seong-guk), son jeune colocataire chez qui elle habite depuis deux mois. La nature exacte de leur relation n’est jamais esquissée. L’ambiguïté s’accentue lorsque Ranhee (Ha Jin-wha), la mère du jeune homme, lui rend visite à l’improviste. Iris quitte l’appartement en catimini. Sa présence, son âge et son aspect excentrique affolent la mère d’Inguk, qui mitraille son fils de questions auxquelles il n’a pas de réponse : « Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Que fait-elle ? »

La furieuse frustration de la mère se confronte à un calme olympien de son fils, qui n’est pas sans rappeler celui du cinéaste lorsque l’on l’interroge sur ses intentions dans le film. « Je ne le sais pas ce que je fais. J’ai une méthode et je fais confiance aux gens, aux lieux et j’essaie de capter ce qui se passe », répond-t-il. On reconnaît, derrière son sourire affable, l’exigence qu’il partage avec son héroïne quand elle insiste : « Mais qu’est-ce que vous avez ressenti ? »