A la Berlinale, le charme à l’ancienne enchante dans « Restitucija, ili, San i java stare garde »

Les combats de Želimir Žilnik

Le cinéaste serbe de 83 ans est l’un des chefs de file de la Nouvelle Vague yougoslave, ce mouvement cinématographique rebelle, progressiste, révisionniste, expérimental et dissident des années 1960/70, rebaptisée « Vague noire » par le régime titiste avant d’être interdit.

Né le 8 septembre 1942 dans un camp de concentration nazi près de Niš en Serbie, Žilnik a été orphelin de ses deux parents. La Gestapo a exécuté sa mère serbe, Milica Šuvaković, membre de la résistance, en décembre 1942, alors qu’il n’avait que trois mois. En mars 1944, les Tchetniks tueront son père slovène, Konrad Žilnik, résistant et « Héros des peuples de Yougoslavie ».

Le bébé a été sauvé par les prisonnières du camp et sera élevé par ses grands-parents maternels à Belgrade. Plus tard, Žilnik étudie le droit avant de découvrir le cinéma engagé lors d’un échange culturel à New York. Il rejoint alors un groupe de cinéastes désireux de dénoncer les injustices sociales et invente la docufiction, un genre cinématographique qui mélange le documentaire et la fiction.

Sa critique effrontée et provocatrice du pouvoir lui attire les foudres du régime communiste dès son troisième court-métrage, Les chômeurs (1969). Son premier long-métrage, Travaux précoces, dépeint l’association entre le sexe et la politique. Récompensé à Berlin, le film sera interdit en Yougoslavie. La suppression de son Film noir en 1971 contraint Žilnik à l’exil en Allemagne.

Après son retour en Yougoslavie au début des années 1980, Žilnik reprend son travail cinématographique. Le cinéaste non-conformiste et désopilant explore alors les tensions nationalistes dans Jolies femmes marchant dans la ville (1986) ; la transition économique dans La façon dont l’acier a été trempé (1988) ; la nostalgie identitaire dans Le deuxième séjour de Tito parmi les Serbes (1994) ou encore le mythe de la masculinité dans Cul de marbre (Teddy du meilleur film à la Berlinale en 1995).

Stevan Arsin dans le pays des Serbes

Mélangant la fiction et le documentaire, Želimir Žilnik s’attaque de nouveau à l’injustice sociale dans Restitucija, ili, San i java stare garde (Restitution, ou Rêve et éveil de la vielle garde). Les spectateurs retrouvent le protagoniste, interprété avec panache par Milan Kovačević, dans un magasin de disques anciens à Vienne. Pianiste de jazz octogénaire et ancien membre de l’ensemble Montenegro five, il cherche des vinyles du groupe, lorsque son portable sonne. Une voix ennuyée l’informe en serbe que l’état va lui restituer le patrimoine familial, nationalisé par le régime communiste.

Milan Kovačević, musicien et le véritable ancien membre de Montenegro five, suit désormais le destin de l’héritier Stevan Arsin. Ce vieux monsieur gracieux et plein d’esprit, entreprend alors les démarches administratives en Serbie. Avec une élégance à l’ancienne, il se confronte à la bureaucratie, à son passé et à sa famille. Narrant les aventures de Stevan Arsin, Žilnik évoque les phénomènes d’une société en transition avec humour et sérénité.

Stevan visite sa maison natale, une demeure imposante au milieu des champs fertiles de Voivodine, accompagné de son ami Milan et de la fille du disquaire autrichien, Nina (Katharina Gualtieri), qui apportera discrètement des précisions historiques. Elle apprend à Stevan que le manoir a été construit par un conte allemand en 1903, fait qu’il ignorait. Sa famille a fui Voïvodine après que les nazis avaient donné la région à l’État indépendant de Croatie, allié au Troisième Reich.

Émerveillé, l’héritier examine les différentes pièces et retrouve ses souvenirs d’enfant. Tiré brusquement de sa rêverie, Stevan est chassé de la propriété par un voisin barbu. Plein de rage, celui-ci arrime la voiture de Stevan à son tracteur pour traîner « les intrus » au poste de police. Au commissariat, on apprend à Stevan que son beau-fils (Radoje Čupić) avait déclaré son décès il y a cinq ans afin de permettre à son associé barbu de s’emparer de ses terres.

Généreux et de bonne disposition, Stevan suit les méandres bureaucratiques avec le sourire, écoute patiemment les revendications de son ex-épouse, leur fille et le beau-fils et retrouve avec joie, ses vieux potes musiciens pour des jam-sessions pétries de nostalgie. Il se prend de passion pour ses arrière-petits-enfants et accueille chez lui la famille de sa petite fille qui se retrouve à la rue.

Face à l’avidité familiale et la corruption sociale, Stevan Arsin préserve sa joie de vivre, sa bonhomie séduisante et cette irrésistible innocence qui caractérise des êtres désintéressés par l’argent. La fin de l’histoire lui donnera raison.