« Voyage à Gaza » : miroir de la jeunesse gazaouïe à la fin des années 2010

Un voyage (in)formateur

Piero Usberti a 25 ans quand il part vivre trois mois à Gaza en 2018. Il est Italien, diplômé en philosophie, et a déjà réalisé le documentaire Un altro giorno sur la ville de Turin. Son père est universitaire et a mis en place un échange entre Sienne et Gaza. Il s’y installe trois mois, et assiste aux funérailles du journaliste Yasser Mortaja, 31 ans, frappé par les forces de sécurité israéliennes alors qu’il couvrait la « marche du retour », une série de manifestations à la frontière de Gaza. Sur place, il rencontre des jeunes de son âge – garçons et filles – qui lui montrent et lui parlent d’un territoire dont on ne sort que par deux portes : une au Nord, vers Israël et l’autre, au Sud, vers l’Égypte. Des jeunes Palestiniens cultivés, impliqués intellectuellement, socialement et politiquement, qui – malgré la violence des bombardements de 2014, de l’ordre moral instauré par le Hamas et de la répression des manifestations du vendredi – boivent des verres dans des bars installés dans des grandes fraiseraies, circulent à Vespa devant la mer, mais qui se sentent toutes et tous, prisonniers et incapables de faire ce à quoi les jeunes de 25 ans aspirent et que le réalisateur réalise : voyager, aller à la rencontre d’autres. Quand il termine le montage en septembre 2023, plusieurs d’entre eux et elles sont partis vivre en Europe.

Éloge de la beauté

La première phrase du film est aussi son résumé : «À Gaza, il faut arriver le soir au printemps, s’enfermer dans sa chambre et écouter les sons qui entrent par les fenêtres ouvertes… ». C’est la beauté que Piero Usberti est allé recueillir à Gaza et il la trouve : dans le ciel qui se couche sur la mer, dans le mouvement de jeune femmes qui jouent au baseball, dans la bibliothèque parfaitement ordonnée de livres pour la plupart interdits d’un jeune marxiste qui a l’outrecuidance de vivre seul. L’image est à la hauteur du sujet : follement belle. La longue séquence du début ressemble à du Alain Resnais, avec une musique pinçante et un texte littéraire qui dénonce un situation d’oppression politique. La suite laisse place aux portrait et aux interviews de jeunes de 25 ans qui nous parlent de leur « Gaza ». Avec une caméra, deux micros, le réalisateur a obtenu 45 heures de rushs dont il livre un condensé très abouti pour dresser le portrait d’un Gaza quotidien dans les yeux d’une jeunesse aussi vibrante qu’assommée de désespoir et de deuil.