Le tout jeune chorégraphe toulousain s’inspire de la discipline sportive pour en donner une interprétation aussi énigmatique que réjouissante
Ni grand ni petit, ni gras ni mince, c’est un tout jeune homme juste à l’aise, rien d’une morphologie de danseur fracassante, qui se présente pour le solo Marathon ! Le titre est tout simple, qui évoque la discipline sportive qui impose à ses compétiteurs la redoutable épreuve de courir la distance de 42,195 kilomètres. La scénographie (Lucie Patarozzi) est toute simple, elle encore : juste un bandeau de tapis blanc qui tranche sur celui noir du studio, et vient mourir au ras du premier rang des spectateurs. Un petit palmier gonflable décoratif, comme on en gagnerait en tombola à la foire aux manèges. Quelques seaux éparpillés de-ci de-là.
Il y a certes un truc qui manque : la ferveur de la grande masse qui se jette en courant sur les avenues des villes. Mais la création sonore (Johanna Luz), toute d’énergie enlevée, y pallie. De même que les lumières de Benjamin Forgues orchestrent une dramatisation frémissante. Action. De face, Valenin Mériot, se met à courir, mais sur place, en foulées.
Au début, cela pourrait ressortir à la gamme des écritures chorégraphiques minimalistes, épuisant le filon de la répétitivité. En bon spectateur de danse contemporaine, on sait que l’épreuve peut ne pas du tout être vaine. Sagement, on se met à décrypter l’articulation du genou, le rythme de la frappe au sol, le souffle du déroulé musculaire, le jeu de verticalité et de penché de la jambre qui se jette en avant et du rattrapage, l’alternance du transfert d’un côté et de l’autre, la gestion gravitaire, l’économie respiratoire. Et tout le tsoin tsoin.
Mais il n’y a rien d’avare, ni de théoriquement sec, chez le jeune performeur chorégraphe, qui a fait ses gammes dans la formation Extensions du CNDC (Centre national de danse contemporaine) La Place de la Danse, dans la Ville rose. D’une présence impliquée, généreuse, il décoche en fait toute une variété de gestes des membres supérieurs, micro-jeux de trajectoires, manipulations vestimentaires et autres traits d’expression de soi, tout en courant.
C’est un second palier pour s’y attacher. Par contraste anti-répétitif, on en vient à se réjouir de tel mouvement d’épaule, juste un déport de tête, une saccade du bras, etc. On ne se lasse pas dans ce feu d’artifices de micro-éclats gestuels. Cela tandis que la fatigue commence à faire son œuvre, et modifie sensiblement la performativité générale de son économie physique.
Certes. Mais on ne s’attendait quand même pas à finir par s’épater pour cet exploit similisportif. Ça commence par un doute. Subreptice. Une anomalie. Notre coureur se désaltère au goulot d’une gourde molle. Banal. Oui, mais le vert fluo du liquide, dans l’ustensile translucide, intrigue tout de même. On songe à quelques genres de boisson expérimentale, droit sortie d’un laboratoire de compléments nutritionnels. Passe encore. Mais voici qu’il en ressort par la bouche, sans crainte que ça tâche, en coulant sur le buste. Juste un loupé ? Une spectatrice au premier rang juge plus prudent de reculer. Pardi. Ça tourne plutôt au crachat, plus poliment au geyser buccal.
La perplexité gagne. D’autres débordements, déraillements, suivent. Vont s’amplifiant. A l’image des marathoniens qui surtout ne font jamais halte, qui se saisissent au vol d’apports caloriques, de secours désaltérants que des spectateurs complices tendent sur leur passage, notre Valentin entreprend de dévorer un phénoménal burger de matière indescriptible, dégoulinant presque monstrueux. Cette transaction organique monte en graduation, le sportif engloutit, dégurgite, écrase des fruits, déchire des matières, dégouline de jus, et court, et court, et court dans un délire d’épuisement.
On n’est pas du tout sûr de ce qu’il cherche à exprimer, sur les états de corps, ou la critique du sport, sur les cycles physiologiques, ou la dénonciation de la consommation. On est perplexe, étourdi, interrogatif. Mais alors réjoui, épaté, par cet affolement des audaces, ce dérèglement des attentes, cette stupéfaction physique du loufoque et de l’énigme. C’est une bouffée onirique, joyeuse et insolente, qui ressemble très fort à une surprise de l’art.
On finit de s’en persuader quand, pour conclure, et sans qu’on en dévoile tout ici, Valention Mériot sait creuser l’espace d’une émouvante apparition poétique ultime, en ligne de fuite, transcendant les excès juste antérieurs. Tout cela est tellement troublant qu’on fut encore plus heureux de le découvrir avec un public qui n’a rien des sachants blasés d’avance : celui du festival Mouvements sur la ville, impulsé par des chorégraphes indépendants dans la périphérie montpelliéraine. Après s’être épuisés à vouloir disputer la curiosité des professionnels aux marges du puissant festival Montpellier Danse, Mouvements sur la ville préfère se réinventer dans l’hiver, dans la synergie de publics plus neufs. Et ça fait chaud aux regards et au cœur.
Visuel : GM