C’est un premier roman, et c’est une des belles surprises de la Rentrée littéraire. « Un nègre qui parle yiddish » de Benny Malapa raconte la vie des parents de l’auteur aux confins de l’Histoire et de leurs identités plurielles.
Le titre vient d’une scène vécue par l’auteur à Jérusalem où il venait en visiteur lorsqu’il dit « à vos souhaits » en yiddish à une vieille dame. Réaction un brin raciste donc : Un nègre qui parle yiddish !, mais le narrateur le prend comme un compliment, qui le plonge au cœur non pas de ses souvenirs à lui, mais de la vie de ses parents. « Le vrai schwartz qui parlait le yiddish c’était mon père » écrit-il. Ce père donc, Paul, prend la parole et raconte la vie de sa famille dynastique au Cameroun et le changement apporté par la colonisation allemande. Né en 1914 à Hambourg, fils d’un Camerounais et d’une Allemande, il devient l’un des meilleurs boxeurs poids légers dans le Paris des années 1930. Une vraie star, qui va même jouer en Allemagne dans les années 1930. Ce qui ne l’empêche pas d’affronter le racisme et l’exil. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il rencontre Suzanne, issue d’une famille juive polonaise ruinée en 1929 et venue à Paris avec ses parents. Ils se marient en plein Paris occupé, et traversent ensemble ce moment si difficile où Suzanne perd une partie des siens en déportation, entre Paris et Marseille.
Cinéaste – et scénariste – de formation, mais aussi producteur de rap, Benny Malapa réussit ce tour de force de faire parler ses parents, dans une sorte de double monologue qui devient dialogue. Le style est direct et vif, le lecteur vibre au présent avec eux et évite la lourdeur de la reconstitution historique. C’est aussi très rafraîchissant quand on sait combien le format de l’enquête familiale a pris l’ascendant sur ce genre de récit dans les dernières années. « Je ne suis pas un savant ni un professeur, mais ce que je vais raconter c’est la vérité. Personne ne peut la raconter mieux que moi » dit Paul, le père. Et en effet, le livre traverser le 20e siècle en mettant en avant à travers ses personnages et leurs familles le racisme, le colonialisme et l’antisémitisme. Et son autre immense qualité et originalité est de le faire dans dichotomie ou concurrence des mémoires : chaque personnage est qui – il ou elle – est avec toutes les complexités et les richesses d’une identité plurielle. Sous son titre un peu rétro et choc, « Un nègre qui parle yiddish » est un roman politique qui interroge la mémoire et la transmission sans céder au pathos et qui marque la rentrée littéraire.
Benny Malapa, Un nègre qui parle Yiddish, Fayard, 360 p., 22,50 euros. Sortie le 13 août 2025.
Visuel : © couverture du livre