Un air de révolte plane sur la dernière semaine du Festival Paris l’été

Hune ou l’esprit d’escalier

Après avoir séduit le public du Théâtre Public de Montreuil, Mattia Maggi et Tom Verschueren accueillaient le public en entrée libre sur le parvis du lycée Henri Bergson à 18h00. En point d’appui de leur performance entre théâtre de rue, cirque et DJ set (avec la complicité de Eliot Maurel aux platines) : des escaliers. Des longues marches qui se déploient dans l’espace très public de leur performance, où les corps tombent littéralement dans une conversation de jeux de mots, qui est aussi embrassades. Les souvenirs et les doutes affleurent, à mesure que les corps de la Cie Paon dans le Ciment prennent position et possession de l’espace avec une assurance délicieuse. On rit, on sourit face à ces potes qui se soutiennent et se rassurent et on retient son souffle en admirant des performances physiques uniques.

Rien c’est bien mieux que tout

Pas le temps de boire un verre au foodtruck posté devant le lycée, ni même de s’emparer des escaliers du premier spectacle pour manger une portion de frites. La deuxième performance du soir est aussi d’accès libre mais sur réservation et une longue file impatiente attend de pouvoir entrer dans la salle où Nicolas de Hérédia et sa Vaste Entreprise nous ont mitonné un peu de temps libre. Reposant sur un site web à la typo dorée et épurée où l’on peut s’inscrire à toutes sortes d’activités pour qu’elles soient systématiquement annulées, La Fondation du rien repose sur une idée géniale : libérer du temps à ceux et celles qui la pratiquent. Faisant l’apparition la plus modeste et la moins charismatique possible devant sa salle en surbooking, Nicolas de Hérédia se place en conférencier devant un power-point minimaliste pour nous annoncer tout de go ce que l’on sait déjà : « La représentation est bien évidemment annulée. » Et il propose de former un groupe 1 de public décomplexé qui peut immédiatement sortir de la salle pour gagner… 1h15 de temps pour lui. Au groupe 2 qui aurait besoin d’un peu plus de temps pour saisir ce temps libre, il se propose d’expliquer ce qu’est son projet, idée de génie née sous la douche, et qui prend une envergure internationale qui lui bouffe tout son temps à lui. Tant et si bien qu’à force de scroller sur le site pour nous présenter des conférences et activités proposées qui seront systématiquement annulées (mention spéciale aux 5 heures libérées par l’inscription à la conférence : « Le vide est ce qui reste quand on a tout enlevé, sauf le vide ») il s’emballe et ne libère pas beaucoup de temps sur les 1h15 promises. La nudité de la scénographie, le côté présentation d’agence de marketing nous font un peu languir, tandis que nous découvrons la circularité angoissante et merveilleusement conceptuelle du dispositif qui recueille les commentaires, réfléchit sur lui-même et ses statistiques et se développe en rhizomes jusqu’en Corée(n) et sur les réseaux sociaux. Le surmenage de son concepteur nous inquiète et semble un parfait contre-exemple de ce qu’il prône sur un sujet qui nous fait d’autant plus rire qu’il nous tend : le temps qui manque et le temps manqué. Si l’on se sent tous et toutes un peu comme le Bartelby de Melville, aucun.e de nous ne dit vraiment en sortant de cette salle de cours un peu rébarbative : « J’aurais préféré ne pas (y assister)».

Sororités punk entre la France et le Brésil

Et la soirée se termine avec l’accueil subtil de la nuit dans un bain d’énergie qui finit de nous galvaniser. Quelle belle idée au cœur de la saison France-Brésil que d’inviter le chorégraphe et metteur en scène Marcio Abreu à mettre en mouvement des danseurs fraîchement sortis de l’école supérieure du Cndc d’Angers face à des performeurs brésiliens chevronnés ! Les corps rejoignent la scène un à un, un écran nous partage certaines phrases clés qui interrogent ce qui unit ou bien sépare un tissu social aussi bien que des questions politiques comme la définition des grands régimes en fonction de qui fait la lessive. Ne cherchez pas très loin : c’est toujours la mère, mais les excuses qu’on se donne pour la laisser trimer changent en milieu féministe, communiste ou colonialiste. Les solos sont le moment où les corps et les voix expriment une version très personnelle de l’histoire, tandis que les mouvements de groupe sont à la fois beaux, punks, énergiques et violents. Les corps se dénudent et se rhabillent avec rage, les dents mordent les T-shirts et le linge est jeté sur la mère ou disséminé vers le ciel. En prenant possession de toute la cour y compris, hors de la scène, en martelant certains gestes et en répétant certaines questions, Voo Livre – História nous fait éclater au visage les narrations des vaincus. Une belle manière de prôner la révolte, sinon la révolution, dans une forme à la joie et à l’hystérie saisissantes.

Le public reste bien après la fin des spectacles sur le parvis du Lycée Bergson, où l’on pet s’allonger sur des chaises longues et boire des verres. En voyant trois spectacles ce soir, on a raté la performance de Chloé Moglia, qu’on peut rattraper dans le 18e arrondissement jusqu’au 5 août, qui sonne le clap de fin de cette édition du Festival paris l’été.