Ancienne journaliste, la réalisatrice Dina Amer a choisi de construire un film de fiction sur une femme terroriste, Hasna, présentée en 2015 comme la première kamikaze femme d’Europe. Un film âpre, déstabilisant, qui ne cherche en rien à excuser, mais juste à tenter de comprendre les racines d’un basculement.
« Tu me ressembles », c’est ce qu’Hasna répète fréquemment à sa petite sœur, Mariam. Très proches, les deux fillettes (Lorenza Grimaudo et Ilonna Grimaudo, sœurs dans la vie, impressionnantes de naturel) sont d’autant plus soudées que leur mère souffre de troubles mentaux, les insulte et les bat. Surtout Hasna, plus grande, plus rebelle. « Tu me ressembles » c’est aussi ce que ressent Dina Amer lorsqu’elle enquête sur Hasna, auprès de sa famille. Frappée par les similitudes, elle s’interroge sur ce qui entraîne une jeune femme vers le point de non-retour.
La réalisatrice évite intelligemment les pièges de l’identification : en montrant deux petites filles en robe rose, encore innocentes, le spectateur ne risque-t-il pas de ressentir trop d’empathie ? Dina Amer place sa caméra à juste distance, saisissant le chaos familial, les poussées de violence, le début de la paranoïa, chez une pré-adolescente en butte à l’ensemble de la société. Mal dans sa peau, Hasna devient toujours plus agressive, coiffée de son chapeau de cow-boy et boxant l’air vers des ennemis invisibles et innombrables.
Peu à peu, la jeune femme décroche, dévisse. Parfois, Hasna se parle dans le miroir, répétant comme un mantra « Je sais qui je suis ». Mais elle n’en plus la moindre idée, cherchant à toute force à attirer l’attention, à se faire aimer : « Je peux me transformer en n’importe qui pour que tu m’aimes ». Ce motif de la métamorphose est filmé avec originalité, trois actrices incarnant simultanément Hasna. Mouna Soualem, la part adolescente sauvage, à vif, Sabrina Ouazani la part boîte de nuit-paillettes-séduction, et Dina Amer la part rêvée, unifiée, qui peut envisager un avenir. Grâce à la technologie Deepfake, les visages se superposent ou se succèdent de manière souple, troublante. Trois visages, trois regards pénétrants ou hallucinés selon les moments. Une scène d’entretien d’embauche pour s’engager dans l’armée, avec Zinedine Soualem, est particulièrement frappante et triste. Arabes intégrés contre arabes rejetés dans les marges, le contraste est violent.
Comme dissociée, expulsée d’elle-même, Hasna vit dans le regret de la relation fusionnelle avec sa sœur, perdue de vue depuis qu’elles ont été placées dans des familles d’accueil différentes. Comment s’adapter aux codes bourgeois ? Faut-il gommer ses racines, les revendiquer ? La sœur d’Hasna se fera refaire le nez pour mieux effacer ses origines. Hasna, quant à elle, voit le sang de sa grand-mère sur le drapeau français, et se sent définitivement étrangère partout.
Lorsqu’elle retrouve, sur les réseaux, un cousin, séduisant, charismatique, Hasna se reprend à rêver. Incarné par Alexandre Gonin, le jeune homme est un terroriste, qui utilise les réseaux pour attirer ses proies. Au début, sa voix rassurante et ses paroles consolatrices charment la jeune femme, qui se sent enfin libre, nue sous sa burqa. Jusqu’à la chute, terrible, implacable.
On pense un peu à La Cérémonie de Claude Chabrol (1995), dans ce portrait qui vole en éclats, sans réparation possible.
Tu me ressembles, de Dina Amer, film, 1h33, produit par Spike Lee, langues : français, arabe, avec Lorenza Grimaudo, Ilonna Grimaudo, Mouna Soualem, Sabrina Ouazani, Dina Amer, Sana Sri, Alexandre Gonin, Grégoire Colin, Zinedine Soualem. Sortie le 22 septembre 2025 sur Universciné.
visuel : photo du film