Trois semaines de paralysie à l’Assemblée : la culture dans la corbeille ?
par Prune Fargetton28.06.2024
31,4% des suffrages exprimés aux élections européennes du 9 juin vont au Rassemblement national. Le soir même, le président de la République annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. Ces législatives anticipées soulèvent des enjeux politiques et démocratiques essentiels, et la France est tournée à raison vers le sort du pays pour les cinq prochaines années. Et parce que l’un n’empêche pas l’autre, quid des retentissements immédiats pour la culture d’une paralysie législative pendant les trois semaines qui ont séparé la décision du premier tour le 30 juin ?
Pour assurer leurs fonctions, les députés se rassemblent dans huit commissions thématiques permanentes, chacun appartenant à l’une d’entre elles seulement. Ces commissions préparent le débat législatif en séance publique, informent l’Assemblée et contrôlent le Gouvernement. Parmi celles-ci, on trouve notamment la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, composée de 71 membres et présidée par Isabelle Rauch (Horizons).
À des fins de contrôle, la Commission met en place des missions d’information, à l’issue desquelles elles rendent un rapport. Deux étaient en cours avant la dissolution, l’une portant sur les conditions d’encadrement relatives au service national universel, et l’autre sur la formation des personnels enseignants dans les établissements scolaires publics : elles n’ont pas rendu leurs conclusions et sont abandonnées.
Deux missions flash, un format semblable aux missions d’information, mais dont la durée est plus courte, et les rapports qui en découlent, allégés, ont également été abandonnées. Elles concernent le monde de la culture : l’une d’entre elles concernait les droits d’auteur et l’intelligence artificielle, et l’autre l’ingérence étrangère dans les médias.
Les groupes de travail sont également clos. Celui qui était chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame, existant depuis 2019, a publié ses derniers communiqués à l’hiver 2023. Les affaires sportives sont également gérées par la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, au sein de laquelle était constitué un groupe responsable du suivi de l’organisation des Jeux Olympiques de Paris. Dans leur dernier communiqué, le groupe mettait en avant la sécurité sur l’événement, l’état du budget, les prix des billets et l’avancement des chantiers sur certains sites.
Une fois qu’un texte de loi a été promulgué, les commissions sont également chargées de vérifier sa bonne application avec du recul. La mission d’évaluation sur la loi du 26 juillet 2019 « pour une école de confiance », aussi appelée « loi Blanquer», a été interrompue.
En ce qui concerne la législation, les propositions de loi déposées par un.e député.e disparaissent si elles n’ont pas au moins fait l’objet d’une lecture à l’Assemblée, cela impliquant l’examen en Commission, puis l’examen en séance, et le vote en séance.
Parmi les dernières propositions en lien avec la culture déposées et abandonnées, on trouve côté Rassemblement national « Améliorer la protection et la conservation des biens historiques », « Défendre la souveraineté audiovisuelle française », « Exonérer les communes de moins de 2000 habitants, les associations à but non lucratif, les établissements scolaires, les petits commerces et autres lieux publics implantés dans les communes de moins de 3500 habitants, de la redevance due à la Sacem et à encadrer les pratiques commerciales de la Sacem». Un député Renaissance a déposé une proposition sur le « Financement des travaux des bâtiments culturels ».
Sarah Legrain (La France Insoumise), a déposé début mars une «proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux violences sexistes et sexuelles et aux mécanismes d’omerta dans le cinéma et le spectacle vivant», Caroline Parmentier (RN) une proposition sur les « violences sexuelles commises dans l’industrie du cinéma» et Francesca Pasquini (Écologistes) une «proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode», celle ci ayant été adoptée par l’Assemblée nationale. La commission d’enquête a donc été abandonnée en chemin avec la dissolution.
Entre mars et fin juin, on remarque donc assez peu de dossiers culturels. La plupart des examens de texte à la Commission concernent l’éducation. Claire Colomb-Pitollat, députée et secrétaire de l’Assemblée nationale jusqu’au 9 juin, a échangé avec nous sur la dissolution. En tant que membre du bureau de l’Assemblée, elle travaille à l’équilibre des groupes et au respect du règlement de l’institution.
Durant les dernières semaines, « les sujets culturels récents étaient souvent budgétaires, comme l’organisation des festivals avec le décalage des Jeux Olympiques. Beaucoup de décisions en culture sont réglementaires et traitées par les ministères, tandis que le Parlement vote les budgets. Quelques nominations passent par des commissions à l’Assemblée, mais je n’ai jamais siégé à la commission de l’éducation et de la culture. Les grandes institutions comme Beaubourg ou l’Institut du monde arabe passent par la commission. » Structurellement, alors, l’initiative législative concernant la culture – hormis le budget, central – est limitée.
Toutefois, les élections anticipées du 9 juin pourraient permettre l’accession au pouvoir du Rassemblement national, et Claire Colomb-Pitollat rappelle qu’ «une fois les nouveaux députés en place, la composition de l’Assemblée influencera le rythme et les propositions législatives. Si le RN gagne en influence, ils essayeront de faire passer rapidement des textes qu’ils ont déjà déposés, comme sur la préférence nationale. La majorité donne le rythme de l’Assemblée et la capacité de proposer des lois. 90 % du temps législatif vient du gouvernement, 10 % des députés, répartis selon leur poids politique.” A l’ordre du jour, le gouvernement domine en effet, avec 37% des inscriptions.
Si l’actualité de la dissolution permet de s’interroger sur les travaux parlementaires en cours dernièrement et les mécanismes institutionnels, à travers le prisme culturel qui est le nôtre, la conséquence immédiate, l’interruption des travaux n’est pas décisive. En revanche, l’extrême droite aux portes du pouvoir est un danger réel pour la démocratie et la culture, comme nous l’avons observé dans notre dernière enquête.
Photographie du Palais Bourbon, libre de droits
