« Tous complices ! » de Benoît Marchisio : Enjoy !

 Un roman enlevé sur le mythe de l’ubérisation

Le scandale des Uber Files nous a appris quel très cher rôle notre président actuel, alors ministre de l’Economie, avait joué dans le déploiement des plateformes. L’économie des plateformes cherchait alors à déréguler à tout prix le marché du travail, et à mettre en avant la figure de l’auto-entrepreneur, alors synonyme de liberté, de choix et de prise de risque. L’argument principal était d’offrir la possibilité de travailler à des hommes et des femmes auparavant exclus du marché du travail. Uber, Glovo, Bolt… Beaucoup s’engouffrèrent dans la brèche. A partir de cette réalité économique et politique, Benoît Marchisio tisse un roman enlevé sur le mythe de l’ubérisation.

Le jeune Abel, en parallèle des cours qu’il essaye tant bien que mal de suivre à la fac, décide de s’inscrire sur l’Appli (l’auteur prend garde de ne jamais donner de nom). L’objectif ? Pédaler pour livrer en moins de trente minutes des repas commandés par les utilisateurs de l’Appli. Pour cela, Abel n’a besoin que d’un statut de micro-entrepreneur et d’un vélo. Libre à lui d’organiser ensuite sa journée comme il l’entend ! Les quelques centaines d’euros gagnés lui permettront de l’aider lui et sa mère, elle qui peine à retrouver un travail. C’était bien sûr sans compter sur les dérives sournoises de l’Appli qui prend en compte les désirs de ses clients et les trucs et astuces des coursiers. Abel se retrouve à pédaler de plus en plus et à gagner de moins en moins.

« Bon ride et surtout soyez prudent ! »

Tous complices ! se présente comme un roman choral. On y suit Abel, mais aussi une ancienne prof devenue SDF, une livreuse de la première heure, des jumelles à la rue habitées par la haine et la violence, un journaliste animateur d’une émission à succès (coucou Pascal Praud) ou encore un avocat qui décide de défendre le sort des coursiers. Le livre revient également sur le phénomène des loueurs de compte qui proposent à des mineurs, des étrangers ou des coursiers déjà bannis de l’application de profiter d’un compte en échange d’une rémunération.

Le livre regorge de trouvailles (« elle les appelle ses escargots : avec leurs sacs énormes pour leurs petits gabarits, ils donnent l’impression de transporter leur maison sur le dos ») et de précisions sur le fonctionnement des applis. Par exemple le fait qu’elles craignent la requalification de la relation qu’elles entretiennent avec les livreurs en contrats de travail (« depuis qu’il a commencé à travailler avec l’Appli – on dit « avec » l’Appli, et pas « pour » l’Appli, comme le lui rappellent les e-mails qu’il reçoit récapitulant ses gains de la journée »). Rythmé et incarné, Tous complices ! défile à toute vitesse, faisant de chaque client de l’Appli le complice d’un système inique et violent. Après L’Histoire de Souleymane actuellement au cinéma et la lecture de ce livre, difficile de commander des repas sur vos applications préférées…